Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

LE BOTA FAIT PLACE À UN CABINET DE DESSINS ÉTRANGE ET PÉNÉTRANT. L’OCCASION D’Y DÉCOUVRIR LE TRAVAIL D’HANS OP DE BEECK ET THOMAS DE BRABANTER, SON INVITÉ.

The Drawing Room & A Horror Story

LE BOTANIQUE, 236, RUE ROYALE, À 1210 BRUXELLES. JUSQU’AU 07/12.

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Au loin, une fête foraine laisse éclater ses lumières putassières. Entre celles-ci et le spectateur, de l’eau. Plus loin encore, des montagnes dont on devine les pâles contours. La composition oscille du noir sombre -celui d’une nuit percée d’étoiles- au gris atténué, en passant par le blanc incandescent. La scène se reflète dans ce que l’on devine être une mer, au pire un océan, qui vient mourir par vagues successives au pied de celui qui regarde. A droite, le rivage, étrangement planté d’un arbre, sans doute mort. Là-bas, sur un quai en pilotis, une grande roue, quasi en feu, et une montagne russe qui promet d’inaccessibles sensations fortes. N’étaient les montagnes en arrière-fond, on pourrait être à Santa Monica. Au centre, une jetée liant probablement le continent à un baraquement, sentinelle au bord du néant. De cette fête qui bat son plein, on ne perçoit pas les cris, ni la musique. Elle semble hors d’atteinte, illusion étouffée par la brume. Les réverbères diffusent une lumière en halos, comme irréelle. Etonnant art poétique d’Hans Op de Beeck qui transforme un moment de joie éclatante en une parenthèse de tristesse diffuse. La représentation semble nous prévenir: le bonheur n’est pas pour nous. Il est condamné à s’agiter au loin, mirage intangible. Le réel ne dit d’ailleurs pas autre chose: ce n’est jamais au moment où l’on vit un événement qu’on l’éprouve et le comprend réellement, c’est toujours par le souvenir qu’il se manifeste clairement à nous. Résultat des courses? On « revit » avant de réellement vivre le monde qui nous entoure -Proust a consacré quelques volumes à cette évidence. On le sait, cette mélancolie douce et cette poétique introspective sont la marque de fabrique du natif de Turnhout.

Invité de marque

Digne héritier d’une nostalgie flamande contractée en bord de mer et en rases campagnes, Op de Beeck nous a habitués à mettre le blues en scène de manière plus flamboyante -on pense à Sea of Tranquility ou encore Staging Silence. C’est donc un pur bonheur de le retrouver ici, au bout d’un crayon ou d’un pinceau, pour renouer, le temps d’une exposition, avec ses états d’âme à la fois étranges et familiers.

En marge de son accrochage, Hans Op de Beeck a eu l’excellente idée d’inviter un autre artiste, Thomas De Brabanter, dont on connaît peut-être le court-métrage éponyme datant de 2011, dans lequel il dirigeait Mathieu Amalric et Marieke Dilles. De Brabanter présente une série d’oeuvres hétéroclites regroupées sous l’appellation A Horror Story. Au départ de ce projet, un texte de la main de l’auteur qui propose une fiction dans laquelle un personnage, Jim, assiste, paniqué, à la disparition du paysage autour de lui. Autour de ce récit angoissant et paradoxalement très visuel, le protégé d’Op de Beeck livre une série d’oeuvres variées, qu’il s’agisse de dessins finement exécutés ou d’une vidéo faisant place à des éléments exclusivement numériques. Cette dernière prend le contrepied du texte en donnant à voir les lieux du récit initial vidés de toute action. Ce jeu subtil entre construction et déconstruction narratives débouche sur une intéressante mise à nu des processus de représentation du réel qui nous traversent et structurent notre inconscient.

WWW.BOTANIQUE.BE

MICHEL VERLINDEN

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