PLUS DE 15 ANS QUE SNOOP DOGG TRAÎNE SON FLOW PARESSEUX, ENCHAÎNANT LES HITS. PORTRAIT D’UN SURVIVANT DU GANGSTA RAP.

Une erreur. Une anomalie statistique. Selon toute logique, Snoop Dogg ne devrait pas occuper encore autant de place dans le paysage musical de 2011. Dans le meilleur des cas, il aurait dû se contenter de gérer son titre de vieille gloire hip hop. Dans le pire, endosser celui d’énième martyr de la cause, une balle logée dans le buffet, un soir, à la sortie d’un club… Au lieu de ça, le Snoop est toujours là, rappeur millionnaire, ami des stars, et guest permanent, invité à la fois chez les bobos ultra crédibles de Gorillaz et sur le dernier tube bubblegum mononeuronal de Katy Perry ( California Gurls). Fort, le Snoop…

Calvin Broadus ne partait pourtant pas gagnant. Né le 20 octobre 1970, du côté de Long Beach, Los Angeles, il est éduqué principalement par sa mère et ses grands-parents (son père est « absent », son beau-père, dont il porte le nom, divorce quand le gamin n’a que 5 ans). Trajet presque « classique »: passage par la chorale de l’église, des cours de piano, et puis, au final, les premiers dérapages. L’appel de la rue, avec passage par la case prison (pour détention de cocaïne) et l’adhésion (plus ou moins floue) aux Crips, gang ultra violent de L.A. L’époque elle-même est troublée. En 88, le groupe NWA sort Straight Outta Compton, brûlot furieux et nihiliste, qui invente le gangsta rap. Dans la somme Can’t Stop, Won’t Stop (éditions Allia), Jeff Chang écrit: « Ce qu’avait été le South Bronx dans les années 70, South Central le serait pour les années 80. C’était la quintessence du n£ud gordien d’un nombre grandissant de quartiers déshérités du centre-ville où la désindustrialisation, la décentralisation, l’aventurisme de la Guerre froide, le trafic de drogue, la structure et la rivalité des gangs se combinaient pour déstabiliser les communautés pauvres et transformer un nombre colossal de jeunes en exclus…  » Confirmation en 92: après l’acquittement de 4 policiers blancs accusés d’avoir tabassé Rodney King, un jeune automobiliste noir, le quartier de Watts explose: les émeutes feront plus de 50 morts…

Cartons pleins

Au même moment, Snoop Dogg commence à faire de plus en plus parler de lui. Notamment grâce à ses apparitions sur l’emblématique The Chronic de Dr Dre, producteur du moment, échappé de NWA. Du coup, quand son propre Doggystyle sort en 93, il atteint directement le sommet des charts: une première pour un artiste solo, tous genres confondus… Sur le g-funk pneumatique de Dre, il rappe avec son habituelle nonchalance, le ton paresseux et nasillard rappelant parfois Slick Rick (il reprend son Lodi Dodi). On y trouve les tubes Who Am I ou Gin & Juice. Ou encore Murder Was The Case, raccord avec les problèmes judiciaires rencontrés par le rappeur. Quelques semaines avant la sortie de son album, Snoop et son garde du corps sont en effet impliqués dans une fusillade. Accusés du meurtre de Phillip Woldermarian, membre d’un gang rival, ils finiront par être tous les 2 acquittés. Mais le rappeur l’a échappé belle. Tant mieux pour la street credibility? Clair. Sauf que le bonhomme a déjà entamé un recentrage. Le langage est toujours fleuri, mais le gangsta rap de Snoop incite moins à dégommer des flics qu’à faire la fête autour de la piscine, à fumer des joints, palpant la monnaie d’une main ( « With my mind on my money/And my money on my mind » dans Gin & Juice), tâtant les rondeurs des « mademoiselles » de l’autre.

Film X et téléréalité

Un gentil toutou, le Snoop? Malin, il passera son temps à éviter les dérapages incontrôlés, en jouant à merveille avec les paradoxes d’un business qui cherche le scandale rémunérateur autant qu’il craint la mauvaise publicité. Un véritable numéro d’équilibriste. Snoop sortira ainsi son propre film porno, avant de jouer les bons pères de famille dans une téléréalité. Symbole du rap West Coast, il évitera aussi soigneusement la confrontation directe avec les rappeurs de l’East Coast. Et quand on le croit en panne, il sort un single assassin (au hasard, Drop It Like It’s Hot, carton de 2004, cosigné avec Pharrell Williams). Opportuniste, il est capable à la fois de s’empêtrer dans une daube électro avec David Guetta, et de s’offrir un duo avec la légende country Willie Nelson. Et quand ses collègues lambinent, lui sort un album quasi tous les 2 ans, tournant régulièrement en Europe. Snoop comprendra surtout avant tout le monde que le rap était destiné à investir le mainstream musical. En 2011, Snoop est ainsi devenu une star pop comme les autres. Qui l’eût cru?…

TEXTE LAURENT HOEBRECHTS

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