JAN BUCQUOY REVIENT POUR NOUS SUR SON ÉPATANTE ET TOUCHANTE VIE SEXUELLE DES BELGES. UN FILM OÙ LE DÉSIR (AMOUREUX, POLITIQUE) S’EXPRIME AVEC HUMOUR ET JUSTESSE.

Une petite vingtaine d’années après sa sortie, La Vie sexuelle des Belges n’a pas pris une ride. Très librement inspiré de la jeunesse de son auteur, le film chronique celle d’un aspirant écrivain quittant sa ville natale d’Harelbeke (Jan Bucquoy y est aussi né…), en Flandre profonde, pour tenter sa chance à Bruxelles. S’il évoque logiquement la sexualité de son personnage principal, sur un mode volontiers humoristique, les sentiments y tiennent une place majeure, et y sont abordés avec une justesse, une délicatesse, qui surprendra ceux et celles qui voient avant tout Bucquoy sous l’angle de ses (nombreuses) provocations. Bien campé par Jean-Henri Compère, le Jan du film s’avère très attachant, comme La Vie sexuelle des Belges dans son ensemble d’ailleurs…

Comment est né le désir de faire ce film?

Il est venu de souvenirs d’enfance. Gamin, je voulais être poète. C’est ce qui me correspondait le mieux. Et la poésie était très ancrée dans la culture populaire, en Flandre. Même un journal comme Het Laatste Nieuws, par ailleurs dominé par les faits divers et les sujets à scandale, publiait des poèmes d’avant-garde! J’avais plein d’idées, des petits flashs (les anciens appelaient ça une inspiration…). J’alignais les mots pour faire de petites strophes, dont j’aimais créer le rythme. Je me voyais donc bien en poète national. Ecrire et puis dire chaque soir, avant le journal télévisé, le poème du jour (rire). J’avais une dizaine d’années, c’était les années 50, j’envoyais des poèmes aux journaux. Certains (des « toutes boîtes » surtout) les ont publiés. Et j’ai gagné une petite réputation… Vers 12 ans, j’ai vécu le début des chagrins d’amour, et je m’en suis inspiré. Un de mes volumes de poèmes s’appelait A toutes celles qui m’ont quitté (rire)! J’étais plutôt précoce… Vers 15 ans, à l’apparition des caméras 8mm, je me suis mis à écrire de petits scénarios, des comédies musicales rock’n’roll surtout. Je dessinais les affiches, aussi. Sans forcément tourner ensuite les films concernés (rire)…

La musique a une grande importance dans La Vie sexuelle des Belges, aussi!

C’est d’une importance majeure, au cinéma. André Delvaux, dont j’ai suivi les cours, me disait: « 50 % de ton film, c’est la bande-son! »

Vous citez singulièrement, en images et en chanson, le Johnny Guitar de Nicholas Ray. Fantasme cinéphile ou réalité vécue?

C’est très réel! J’ai découvert ce film avec ma tante Martha, celle qui courait tout le temps à poil dans son jardin quand il faisait beau. Une femme libre, qui avait des amants, et dont on parlait en disant « Ouh la la! » Elle avait plein de bouquins, aussi. Et elle m’emmenait au cinéma (il y en avait six à Harelbeke). On allait tout voir. En double programme, avec souvent un western en premier film. Pas mal de merdes, mais aussi des films formidables. Johnny Guitar m’avait beaucoup impressionné. Notamment par la position qu’y occupe la femme. Tout sauf dans l’ombre des hommes. Il y a même un duel entre femmes! On n’avait jamais vu ça au cinéma.

Le cinéma fut donc source de formation, dès l’enfance?

Oui. Avec la littérature, il a été important dans la formation de ma personnalité. D’autant qu’à l’époque, les parents s’en foutaient un peu. Ils étaient souvent absents. Ils essayaient vaguement de nous dresser, pour que nous entrions dans le moule (rire). On élevait des gosses comme on élevait des cochons. D’ailleurs mon père disait: « J’aurais mieux fait d’élever des cochons! On aurait pu les manger. » C’était une époque rude (rire)!

Il vous aura fallu atteindre l’âge de la maturité pour évoquer cette enfance, cette jeunesse, dans un film?

Oui, il faut avoir vécu. Bien sûr il y a des exceptions, comme Rimbaud. Mais de manière générale je pense qu’il faut du temps, qu’il faut avoir atteint la quarantaine, avoir eu des enfants, avoir divorcé, être entré dans des groupes politiques, avoir fait sa rébellion. Faut vivre avant, quoi. C’est long et lent, de se connaître soi-même, et d’essayer de comprendre les autres. Il faut du matériel. Les jeunes, je ne crois pas qu’ils doivent faire du cinéma à 20 ans… Qu’ils apprennent d’abord la plomberie, l’électricité. Qu’ils partent s’installer à Nantes pour y gueuler contre l’aéroport. Qu’ils bouffent un peu la vie. Parce qu’un film, ça prend cinq ans. On s’enferme, on se met en retrait de la vie. Dans l’écriture aussi. Alors faut vivre avant, et avoir quelque chose à communiquer aux gens.

Quelques mots sur le titre?

C’est un titre détourné. La Vie sexuelle des Belges, ça en a irrité plus d’un. Et donné de faux espoirs à quelques autres (rire)… C’était une façon de me démarquer d’emblée. Je suis un artiste conceptuel, je suis parti sur cette idée.

Quelle est la part d’éléments autobiographiques et quelle est la part d’invention?

C’est une autobiographie, mais poétique. Je ne voulais pas faire l’archéologie de ma propre vie, mais me servir de ça pour dire ce que cela put être, de grandir dans les années 50, entre autres. Trouver une ligne juste. Et aller du personnel à l’universel.

Le film a bien voyagé, il a été distribué un peu partout dans le monde. Je me souviens notamment de l’avoir vu à l’affiche du cinéma de Nanni Moretti, à Rome. Avec un poster particulier…

Ils avaient doublé le film en italien. Et ils ont utilisé une affiche que j’avais faite pour l’étranger, avec une photo de Baudouin et Fabiola, bras à bras. Et j’avais mis ma tête à la place de celle de Baudouin. Donc j’étais au bras de Fabiola (rire)!

Le film évoque l’amour et la politique. Les deux ne relèvent-ils pas au fond d’une même chose: le désir? Désir de l’autre, et désir de changer le monde?

Oui, du désir décliné de deux manières, avec une grande intensité, un grand espoir. Mais pour autant, j’ai voulu éviter le discours idéaliste. Le résultat de ce désir est plein de défauts, de ruptures, d’espoirs déçus. Je pose un regard sur l’action, je joue d’une dialectique entre ce que les personnages disent et font. Comme quand Jan va distribuer des tracts à l’ULB. Dès qu’il rencontre une nana, c’est tout de suite fini (rire)! C’est comme ça, qu’on soit trotskyste ou maoïste. Tant qu’on n’a pas de nana, c’est la lutte politique. Et dès qu’on en a une, c’est tout autre chose… Un bel exemple de ce que j’appelle la ligne juste. Loin de toute propagande. Je préfère offrir une réflexion sur la relativité des choses, sur le fait que nous sommes tous mortels et que rien n’est simple… Quelque part, la poésie, c’est ça aussi. C’est pouvoir, comme le disait Bukowski, planter une rose dans la merde.

On entend à la radio, dans une des premières scènes du film, la diffusion commentée du mariage de Baudouin et Fabiola. On dirait du Monty Python… mais c’est la captation authentique de la RTB!

Oui, c’est incroyable mais vrai! Il faut toujours s’attaquer aux symboles. Et la monarchie symbolise la hiérarchie, la loi du père, l’absence de contrôle démocratique. Quand Baudouin démissionne un bref moment pour ne pas signer la loi sur l’avortement, et que tout le monde trouve ça normal, cela pose quand même question…

Comment Jean-Henri Compère est-il devenu votre alter ego, en incarnant Jan dans La Vie sexuelle des Belges puis en poursuivant l’aventure en jouant l’animateur culturel dans Camping Cosmos?

Il n’est pas moi, bien sûr. Mais il a cette espèce de naïveté… Il veut toujours faire des tas de trucs mais après il n’y va pas vraiment parce qu’il est un peu vulgaire, lourdingue. On voit vite que ça va être compliqué, pour lui (rire)!

Le mode de la chronique vous va bien. Allez-vous y recourir encore?

Ce style de narration évolutive dans le temps me va bien, en effet. Et justement, je prépare la suite! Cela s’appellera Liège-Bastogne-Liège. C’est sur un groupe culturel, La Belgique sauvage, qui va en Wallonie pour la réveiller. L’action se déroule sur les 20 dernières années. Il y a des Flamands, des Wallons, et un désert culturel… Il y aura aussi, bien sûr, Jean-Henri Compère!

LA VIE SEXUELLE DES BELGES, LE 30/07 À 19H À LA CINEMATEK, BRUXELLES.

RENCONTRE LOUIS DANVERS

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