Une question de timing

Foisonnant, le nouvel album de Childish Gambino aurait pu plier sous le poids de son ambition. Au lieu de ça, il commente brillamment son époque.

Childish Gambino a toujours aimé soigner la sortie de ses albums. Quatre ans après Awaken, My Love!, il a lâché son nouveau disque par surprise, en le diffusant sur son site. Ce n’est qu’une semaine plus tard que son label a pu « régulariser » l’affaire, en glissant l’album sur les plateformes de streaming traditionnelles…

Son titre correspond à sa date de sortie initiale. Quant aux douze morceaux proposés, hormis Algorhythm et Time, Glover en a gommé tous les intitulés pour ne garder que les times codes. Le single Feels Like Summer par exemple, se cache désormais sous le repère 42.26. L’explication? Une manière pour l’intéressé d’amener l’auditeur à écouter le disque d’une traite, dans sa globalité. Ce qui ne manque pas de piquant de la part d’un artiste dont la carrière a basculé en un single…

Bien sûr, Childish Gambino n’a pas attendu le carton de This Is America en 2018 pour se faire remarquer. Auteur, comédien, il a joué dans les séries 30 Rock et Community, avant de créer Atlanta. Musicien, rappeur, il a également sorti une multitude de mixtapes et trois albums officiels. Mais c’est bien la vidéo hallucinée de This Is America, petite maison des horreurs de la question raciale aux États-Unis , qui a fait de Donald Glover une véritable icône pop.

Une question de timing

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Il aurait pu se contenter de gérer tranquillement cette nouvelle célébrité. Au lieu de ça, l’artiste multi-task continue de tenter des choses. Le précédent Awaken, My Love! mélangeait déjà les genres. Le nouveau 3.15.20 fait preuve de la même gourmandise, mais en sonnant moins vintage. Morceau gigogne à la Prince ( 24.19), échappée saturée à la Kanye West ( 32.22), dérive soul façon Outkast ( 12.38), ou encore hit existentialiste ( Feels Like Summer, donc): Childish Gambino passe de l’un à l’autre avec une facilité déconcertante.

Certes, de l’ambition à la prétention, il n’y a parfois qu’un pas. Le fil est d’autant plus ténu que l’atmosphère générale n’est pas vraiment aux grands effets de manche: au moment où tout le monde est retranché chez soi, qui a envie d’entendre les bravades d’un artiste, enchaînant les cascades? Enregistré forcément avant la pandémie, le coup d’éclat de Childish Gambino aurait pu tomber à plat, presque déplacé. Étrangement, il réussit pourtant à résonner avec le moment. 3.15.20 ne cache en effet pas ses angoisses ( « We’re running out of time »), sur la marche du monde ( « Little boy, little girl/Are you scared of the world? ») ou les fragilités de l’existence en général. Au passage, Childish Gambino questionne également les dérives du Net ( « So very scary, so binary, zero or one » sur Algorhythm). Ce qui tranche avec ses discours précédents, comme quand il célébrait les libertés du Web avec son deuxième album, Because the Internet.

C’était en 2013. À l’époque, Glover avait même forcé la main de son label pour sortir le disque pendant les vacances de Noël. « Pour moi, c’est un moment parfait, justifiait-il alors. Les albums ont toujours eu un grand impact sur moi, quand je pouvais les écouter seul, et que tout était calme. » À cet égard, 3.15.20 arrive lui-même à pic…

Childish Gambino

« 3.15.20 »

Distribué par Sony.

8

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