LE 40E GRAND RAOUT DE LA BD N’A PAS TRANCHÉ L’ÉTERNEL CONFLIT ENTRE CLASSIQUES ET MODERNES. MAIS IL OFFRE PLUS DE PERSPECTIVES AUX ARTISTES QU’AUX AFFAIRES.

Au lendemain du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, où on écoule encore bien plus de bières et de pinard que d’albums de BD, beaucoup ont la tête un peu lourde pendant que d’autres sourient. Longtemps, ce furent les éditeurs et les grandes maisons bien de chez nous qui en revenaient contents pendant que les auteurs soignaient leur gueule de bois. Mais cette 40e fois, on a la nette impression que c’est un peu le contraire: les affaires font grise mine, mais les artistes se réveillent.

D’instinct, les fameuses bulles contenaient, à l’image du marché, toujours plus de livres mais un peu moins de lecteurs. Moins de bousculades du côté des très grands -Dupuis n’était même pas présent, les autres évoquaient plus leur mercato que leurs dernières nouveautés-, moins de foule partout et en particulier devant les classiques; on a surtout remarqué que la star des dédicaces a pour nom The Walking Dead, le comics américain et zombiesque; que le thème évoqué partout et par tous était la BD numérique, secteur dont les éditeurs papiers sont -totalement!- absents; et que la bande dessinée dite classique, mais pas moins passionnante, avait tout de même des petits relents de naphtaline, avec la sanctification d’Uderzo ou la mise en tableaux des dessins de Donald et Mickey.

La crise au service de l’art?

La participation des auteurs à l’élection du nouveau président, une première depuis longtemps, n’aura pas elle non plus dissipé le malaise dans lequel baigne le secteur, un peu moins les artistes: 30 % des auteurs accrédités au festival ont fait le déplacement dans le bureau de vote tenu par les Requins Marteaux pour placer l’iconoclaste Willem bien haut dans la short-list des cinq derniers nominés, soumis ensuite au choix subjectif du jury. Mais dans cette short-list, il y avait Alan Moore, Otomo, Chris Ware… Point de Cosey ou de Van Hamme. Et c’est donc un dessinateur de presse, de gauche et d’origine hollandaise qui règnera sur le prochain festival d’Angoulême!

Face à ce résultat, et même si Dargaud repart avec le Fauve d’Or pour l’effectivement génial Quai d’Orsay de Christophe Blain, auteur lui aussi branché sur le courant alternatif, les éditeurs s’étranglent (qu’est ce qu’on va vendre??), les vieux de la vieille s’étouffent de rage (ce n’est pas de la BD monsieur!), mais beaucoup d’artistes contemporains de la bande dessinée se félicitent de ce choix, comme Ruppert & Mulot, complices entre autres de Bastien Vivès et figures de proue de cette nouvelle génération arty prête à prendre le pouvoir (lire par ailleurs). Ils sont nombreux à plaider pour un retour à un festival qui ressemblera plus à la célébration d’un art qu’à une gigantesque foire: le nouveau président et les nouvelles réalités économiques du secteur pourraient bien leur donner raison dès l’année prochaine. Il ne faudra peut-être pas s’en plaindre, et on prend déjà date pour la rétrospective annoncée du cartooniste batave qui a toujours frappé fort et tout le monde, et désormais président d’un festival appelé à se renouveler: son directeur artistique, annoncé chez Casterman, passe lui aussi la main. Décidément, une page se tourne. Finalement rien de plus logique dans le monde de la bande dessinée.

TEXTE OLIVIER VAN VAERENBERGH, À ANGOULÊME

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