Certes, la colonisation belge au Congo a généré, en son temps, une abondante production cinématographique, fictions comme documentaires d’ailleurs. Et la Cinematek pouvait, voici quelques années, éditer un remarquable double DVD compilant l’oeuvre des André Cauvin, Gérard De Boe et autre Ernest Genval, documentaristes au service du projet colonial (1). Mais si un Thierry Michel continue aujourd’hui à en interroger les conséquences dans une filmographie éminemment critique, les films actuels sur la thématique coloniale demeurent rares. « On a très peu représenté, voire pas du tout, une histoire qui a quand même duré 75 ans, explique Monique Mbeka Phoba, cinéaste belge d’origine congolaise qui présente, ces jours-ci, une master class intitulée « La colonisation belge dans le cinéma actuel: un sujet tabou? », dans le cadre du festival Elles tournent (2). Le cinéma est supposé refléter les réalités sociales, historiques et sociologiques, et c’est un peu bizarre de ne pas voir ce passé évoqué, alors qu’il reste très présent dans l’imaginaire de la population belge et dans son histoire familiale. Pour moi, c’est lié au fait que le traumatisme colonial n’est toujours pas réellement assumé ni décodé ou analysé. Cela reste quelque chose d’assez enfoui; or, il est important d’en parler. »

Le tabou de l’imagerie coloniale, la réalisatrice s’y est trouvée confrontée en préparant son court métrage Soeur Oyo. Soit inspirée de celle de sa mère, mais aussi du film The Nun’s Story (de Fred Zinnemann avec Audrey Hepburn), l’histoire, dans le Congo des années 50, d’une écolière congolaise envoyée au pensionnat catholique de Mbanza-Mboma poursuivre sa scolarité en français. Et un film embrassant joliment divers enjeux de l’époque. A force d’entendre qu’elle était la « seule » à avoir tourné une fiction sur cette période, Monique Mbeka a vu son intérêt pour ce pan méconnu de la production s’amplifier, et sa master class s’appuie sur des extraits d’une dizaine de films. « Si je l’ai entreprise, c’est aussi parce que lors de la première de Soeur Oyo, alors que je pensais avoir affaire surtout à des spectateurs congolais, j’ai aussi vu un public anciennement colonial ou ayant dans son histoire une relation à l’époque coloniale. Ils regrettaient de ne pas voir leur histoire suffisamment répercutée, et mon film leur faisait plaisir, ce qui m’a interpellée. » Appelant à voir plus de fictions sur la question se tourner, la réalisatrice ajoute encore: « Soyons à l’aise dans notre histoire, elle est très importante parce qu’elle nous permet de savoir qui on est. Moi, ça me construit. Personnellement, j’estime qu’entre Congolais et Belges, il y un contentieux qui continue d’être là, toujours pas formulé ni explicité, ce qui fait qu’il remonte très vite à la surface. Quand des problèmes se posent, on ne parle pas tant du problème en tant que tel, mais du contentieux qui est derrière et continue de traîner. Autant éventrer le boa… » On ne saurait mieux dire.

(1) BELGISCH CONGO BELGE.

(2) LE DIMANCHE 31 JANVIER À 13 H AU CINÉMA AVENTURE, À BRUXELLES.

J.F. PL.

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