KEIRA KNIGHTLEY APPORTE UNE INTENSITÉ PEU BANALE À JOAN CLARKE, COMPAGNE DE LUTTE D’ALAN TURING, ET HÉROÏNE FÉMINISTE D’UNE ÉPOQUE QUI NE L’ÉTAIT GUÈRE…

« J’aspire, en termes de carrière, à essayer des choses différentes. » Ce précepte, Keira Knightley s’est employée à le mettre en pratique depuis pas mal d’années déjà. Le genre à tourner le dos, après trois films, à la franchise Pirates des Caraïbes l’ayant consacrée star –« J’avais fait le tour de la question », explique-t-elle en substance. Ou encore à refuser de capitaliser sur les emplois romantiques –Pride & Prejudice, Atonement- ayant imposé son charme, pour s’en aller musarder chez David Cronenberg (A Dangerous Method), voire même dans le cinéma d’action façon Jack Ryan: Shadow Recruit. A cet égard, The Imitation Game fait mieux que répondre à son cahier des charges personnel, qui la voit évoluer à rebours d’un quelconque glamour dans un film passionnant où elle campe Joan Clarke, « soeur d’armes » d’Alan Turing, héroïne féministe au combat intemporel qu’elle évoque avec l’ardeur l’animant à l’écran.

Qu’est-ce qui vous parlait dans le personnage de Joan Clarke?

Quand on considère son histoire, on voit que ce pourquoi elle se battait, c’était avoir une place à table, et obtenir un salaire égal. Cela m’a semblé fascinant, parce que cette question, qui se posait déjà en 1943, se trouve toujours au coeur du débat féministe aujourd’hui. Le fait que l’on n’ait pas encore obtenu l’égalité après tant d’années n’en finit pas de m’étonner. Il y a encore un long chemin à parcourir. J’ai été sensible à la manière dont elle gérait les choses, et au fait que même si elle était l’objet d’immenses préjugés, elle ne cherchait pas à choquer. Elle comprenait les mécanismes du système, et savait qu’évoluant dans un monde d’hommes, se comporter comme une teigne ne la mènerait nulle part, ce qui me semble encore fort vrai aujourd’hui. D’une façon générale, que ce soit au bureau ou dans les films, les femmes doivent mieux se comporter que les hommes, sans quoi elles passent pour autoritaires ou fort difficiles. Elle était assez intelligente pour l’avoir déjà compris, sachant que le seul moyen d’arriver à ses fins serait d’apparaître comme un rayon de soleil près duquel les gens aimeraient se trouver.

Quel regard portez-vous sur leur relation, Alan Turing et elle?

J’ai vu une interview beaucoup plus tardive où elle abordait ce sujet, et elle décrivait une merveilleuse amitié. Son choix ne m’a pas tellement surprise. Peut-être se doutait-elle de son homosexualité, mais elle n’y a pas vu d’inconvénient. Il arrive que des gens choisissent la camaraderie plutôt que l’amour. Et certainement si l’on considère cette époque où, pour les femmes, le mariage était synonyme de devoir tout laisser tomber, pour être enchaînées à un évier de cuisine. Si c’était cela l’alternative, je peux totalement concevoir qu’elle ait opté pour l’amitié, le travail et sa fascination pour ce sujet. Bien sûr, sa vie n’allait sans doute pas être orthodoxe, mais ce serait pour un mieux.

Qu’aimeriez-vous voir les spectateurs retirer de The Imitation Game?

A nos yeux, il s’agissait de célébrer les différences et le fait de ne pas être dans la norme. Et ce film m’apparaît comme un avertissement par rapport aux tragédies pouvant voir le jour lorsqu’on laisse les préjugés s’insinuer dans les politiques gouvernementales.

Dans quelle mesure ce film vous a-t-il affectée personnellement?

Comme tous ceux qui le verront, et vont réaliser l’injustice dont Alan Turing a été victime. Des injustices se produisent chaque jour aux quatre coins du monde, et il est important de s’en souvenir, comme du fait qu’il faut toujours se battre pour la justice. Toute histoire portant sur les préjugés revêt une grande importance. Je trouve absolument choquant qu’il y ait encore tant de pays où l’on puisse être détruit à cause de sa sexualité ou de celui ou celle que l’on aime.

Vous croyez dans le pouvoir du cinéma de changer les choses?

Je pense que l’art a le pouvoir de changer les choses en général. Pour moi, c’est là l’objet de la culture, de permettre aux différentes cultures de s’exprimer et d’essayer de s’expliquer. Je pense que c’est la raison pour laquelle on a injecté tant d’argent dans la culture et dans des structures comme le National Theatre en Angleterre après la guerre, afin que nous puissions avoir cette conversation. Ce dialogue passe par les arts, et donc par le cinéma, absolument.

J.F. PL.

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