Une Belge au bout du monde

Ma’Ohi Nui, de la cinéaste belge Annick Ghijzelings, part à la rencontre d’un peuple de Polynésie lancé à la poursuite de son identité et de son indépendance.

Pléthorique, le programme de la Berlinale aligne, aux côtés des incontournables Compétition, Panorama et Forum, une myriade de sections aux objets les plus divers, allant des films destinés au jeune public (Generation) à ceux traitant de la nourriture (Culinary Cinema). C’est dans l’une d’elles, NATIVe, dévolue au cinéma indigène, que l’on a pu découvrir -sur écran IMAX encore bien- Ma’Ohi Nui, Au coeur de l’océan mon pays, le nouveau long métrage de la documentariste belge Annick Ghijzelings. Assurément peu banal, le film met le cap sur la Polynésie française, à la rencontre d’un peuple que l’Histoire coloniale et 30 années d’essais nucléaires, de 1966 à 1996, ont laissé aliéné. « À l’image de la radioactivité qu’on ne peut ni sentir, ni voir, mais qui persiste pour des centaines de milliers d’années, la contamination des esprits s’est lentement et durablement installée, écrit la cinéaste dans sa note d’intention. Aujourd’hui le peuple Ma’Ohi est un peuple dominé qui a oublié sa langue, qui ignore son histoire et qui a perdu le lien à sa terre et à son rapport au monde. Pourtant (…), quelque chose survit, qui résiste à la disparition. » Et c’est cette histoire mais aussi cet élan, avec la poursuite de l’indépendance pour corollaire, que s’emploie à cerner le film.

Une Belge au bout du monde

Poétique et politique

Philosophe de formation se consacrant depuis une quinzaine d’années au cinéma, Annick Ghijzelings raconte avoir eu l’impulsion initiale du projet en 2011, alors qu’elle s’était rendue en Polynésie pour le tournage de 27 fois le temps,  » un film plus culturel autour de la perception du temps, à travers la planète et à travers l’Histoire. En travaillant avec la population sur place, je me suis rendu compte qu’il y avait un sujet beaucoup plus politique à faire, lié à la situation du peuple Ma’Ohi, qui est en train de disparaître. J’ai commencé à travailler avec les personnages, à recueillir des témoignages, le film est vraiment le fruit de sept années de travail, de recherches et de confiance mutuelle avec les gens impliqués, à Tahiti et dans les îles… » Au gré des voyages, et tandis que les relations s’approfondissent, le film prend forme,  » très dirigé, très écrit« . À une première partie conceptuelle, montrant un peuple assoupi, paralysé par son passé colonial, en succède une autre, plus classique, nourrie notamment de témoignages -ainsi, celui d’Oscar Temaru, leader indépendantiste qui porta la cause devant les Nations Unies en 2013. Mais si le film est ancré dans la réalité -et notamment celle des « quartiers », comme l’on appelle les bidonvilles de Papeete-, il convoque aussi l’onirisme et la légende y infuse le quotidien, notamment à travers la voix insistante d’une ancêtre-narratrice (interprétée par Flora Devatine, première auteure polynésienne à avoir été publiée). Manière, en définitive, de concilier démarches poétique et politique.  » Comme tous les cinéastes, je crois, j’ai commencé en faisant des films un peu intimistes, à la première personne. Et puis, peu à peu, on nourrit cette première personne en résonance avec le monde, et la politique vient s’insinuer dans une démarche plus personnelle, jusqu’à tourner un film comme celui-là… » Singulier et universel. Et qui, après le circuit des festivals internationaux -prochaine étape, Taipei-, est annoncé sur les écrans belges pour la fin de l’année…

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