Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

SOUS LES PAVÉS LA VAGUE – ANNE WIAZEMSKY ROUVRE LA PARENTHÈSE ENCHANTÉE DE SES 19 ANS: LA PHILO, LA MOUVANCE PRÉ-MAI 68 ET SA FULGURANTE HISTOIRE D’AMOUR AVEC GODARD. EN APESANTEUR.

DE ANNE WIAZEMSKY, ÉDITIONS GALLIMARD, 264 PAGES.

Nous sommes à l’aube de l’été 1966. Anne Wiazemsky, dans l’audace de ses 19 ans tout juste empochés, poste une courte lettre aux Cahiers du Cinéma. Elle l’adresse à Jean-Luc Godard.  » Je lui disais avoir beaucoup aimé son dernier film, Masculin Féminin , je lui disais encore que j’aimais l’homme qui était derrière, que je l’aimais, lui. J’avais agi sans réaliser la portée de certains mots. » La jeune femme n’est pas exactement novice, cinématographiquement parlant. Sa moue ingénue, ses grands yeux distants et placides, sa frange flamboyante ont d’ores et déjà accroché le regard, quelques mois plus tôt, du grand Robert Bresson. Pour lui, elle a été Marie dans AuHasard Balthazar. Un tournage hanté par sa relation compliquée avec Bresson, réalisateur exigeant dont elle devait raconter les obsessions possessives et l’ascendance dans un roman d’apprentissage qui accrochait la grâce ( Jeune Fille). D’un été à l’autre comme en un passage de pygmalion, la jeune femme, petite-fille de l’académicien François Mauriac, poursuit son éducation à travers sa fascination pour le réalisateur de Pierrot le fou. A la veille d’entamer ce qui sera son année studieuse (son entrée en fac de philo), Wiazemsky révise son bac dans les vergers d’un domaine beau à perte de vue dans le sud de la France; Godard, lui, est en plein tournage, menant 2 films de front – 2 ou 3 choses que je sais d’elle et Made in USA. Au moment même où la presse people annonce son mariage avec Marina Vlady, il l’appelle en réponse à sa lettre, avant de débarquer à l’aéroport de Marseille pour la rencontrer. Ils ont 17 ans d’écart.

Couple à trois

C’est le début d’un étrange couple à trois, elle, Godard et l’écran, jouets d’un désir en médiations. Il l’emmène voir des de Funès, lui présente les Truffaut, Rivette, Bertolucci, vient la cueillir à la fac de Nanterre dans son Alfa Roméo rutilante, boudoir pour leurs débats phénoménologiques autant que planque pour leur amour clandestin. Bientôt, il lui offre le rôle de Véronique dans La Chinoise, film symbole de ses années Mao. Pendant ce temps, Anne affronte mai 68 à coups de révoltes sporadiques contre sa mère et « les Mauriac », autorité de marbre sourdant de l’appartement voisin. Son amour avec Godard est bavard, facile et capricieux comme dans un Rohmer. Une passion qui se cherche des preuves puis force l’abandon, passe du désir au dégoût, du familier à l’étrangeté avec une simplicité confondante.  » Je veux vivre le plus longtemps possible avec toi. Mais je sais que ce n’est pas pour toute la vie, que j’aurai d’autres amours et d’autres vies« , lui annoncera-t-elle un jour, peu après l’avoir finalement épousé.

Le livre est son portrait, curieux mélange de timidité rentrée et d’audace qui la fait s’échapper d’elle-même; il est surtout un vibrant portrait de Godard en amant intime, moqueur, complice, possessif. En un joli paradoxe, il règne sur l’année studieuse d’Anne Wiazemsky un tourbillon de légèreté, de cocasserie, d’insouciance blanche. L’apesanteur de ses 19 ans semble d’hier. Un tour de force qui est aussi un choix: celui de ne pas faire entendre la voix de celle qu’elle est devenue sur celle qu’elle était. Un petit miracle de réanimation sixties dans l’illusion d’un présent sans lendemain. Sans artifice, sans nostalgie. Comme une évidence.

YSALINE PARISIS

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