DIX-HUIT ANS (!) APRÈS SON DERNIER ALBUM SOLO, NENEH CHERRY REVIENT SUR LA POINTE DES PIEDS AVEC BLANK PROJECT, DISQUE À LA FOIS ÂPRE ET LUMINEUX.

Début du mois, sur la scène de l’Ancienne Belgique. Revenue pour un dernier rappel, Neneh Cherry annonce un soi-disant nouveau morceau. « Il s’intitule… Kiss My Ass! » Grand éclat de rire: la voilà qui balance une version revisitée de son tout premier hit, Buffalo Stance, millésimé… 1998. « Who’s that gigolo on the street?… »

Quelques heures auparavant, on rencontrait l’intéressée en coulisses. Dans le sac, le maxi 45 tours du morceau en question. « Waow! Où vous avez dégoté ça? » Et la chanteuse de raconter: « Il y a quelque temps, j’étais à la maison, dans le divan. Et tout à coup, j’ai réalisé. Cela faisait exactement 25 ans que Buffalo Stance était rentré dans les charts! Je me rappelle très bien, c’était un peu avant Noël, j’étais enceinte (et enceinte, elle viendra chanter sur le plateau de Top of the Pops, l’émission phare de la BBC, ndlr). Ma fille va donc fêter cette année ses 25 ans. Et moi mes… 50. Je ne suis pas particulièrement obsédée par l’âge -j’ai des amis qui ont 70, 80 ans, d’autres la vingtaine-, mais tout de même… The big five-o… Dimanche prochain, pour le coup, on va partager une petite fête d’anniversaire, avec ma fille. » Cinquante ans. On les cherche encore. Baskets montantes dorées, streetwear à la coule, sur veston à ailerons eighties: Neneh Cherry version 2014 ressemble à s’y méprendre à Neneh Cherry circa 1988. La musique, elle par contre, a pas mal changé.

Dans les années 90, Neneh Cherry enchaînait trois albums et plusieurs tubes (le carton mondial de 7 Seconds, avec Youssou’n Dour). Girl power avant l’heure, elle mélangeait séduction canaille, racines rap et visées pop. Après Raw, pourtant, c’est le silence radio. Il faut attendre 2012 pour la voir réapparaître. Sorti sans grande publicité, The Cherry Thing est un disque de reprises brut de décoffrage, pondu avec le trio jazz The Thing. Un retour aux affaires confirmé aujourd’hui par Blank Project, premier album solo en 18 ans…

On trouvera peu de points communs entre, au hasard, la berceuse dance-hip hop de Manchild (1989) et les paysages décharnés du nouveau Blank Project. Marqué par la mort de sa mère (Moki Karlsson, artiste-peintre suédoise, décédée en 2009), l’album démarre avec Across The Water. Il tient à la seule voix de Cherry et quelques percussions. « Perdre ma mère a été très traumatisant. Il m’a fallu un an pour m’en remettre, et sortir d’une sorte de léthargie. Across The Water parle de ça, de la conscience du temps qui passe, de la fragilité des choses et de ma propre expérience de mère. »

Punk un jour…

Produit par Four Tet (l’Anglais Kieran Hebden), enregistré avec le duo électro-jazz Rocketnumbernine (les frères Ben et Tom Paige), le disque-exutoire ne contient aucun hit, ne cherche jamais l’accroche pop. A la place, des rythmes concassés, fracturés, le minimalisme des lignes mélodiques intimistes, des ambiances à la blancheur métallique. « Après mon 3e album solo, je n’avais que trop conscience des limites de la pop. En tout cas celles du monde de la pop, plus que de la musique elle-même qu’on peut tordre dans tous les sens. A certains égards, Blank Project reste d’ailleurs un disque pop: il s’agit bien de chansons, mais avec un twist, un peu plus expérimental. J’imagine que cela a à voir avec ce que je suis aujourd’hui, mon âge, l’expérience, mon parcours… Je devais trouver une autre manière de faire, de grandir. De toutes manières, déjà à l’époque de Raw Like Sushi (son premier album, ndlr) ou de Seven Seconds, j’avais le sentiment que tout ça était temporaire. On allait en profiter, aller aussi loin que possible et puis passer à autre chose. Des phénomènes comme Madonna, U2 ou Beyoncé, qui continuent quoi qu’il arrive, c’est incroyable. Je ne crois pas avoir ce genre d’ambition (sourire). »

Aujourd’hui, Neneh Cherry s’est donc contentée d’une mini-tournée dans des endroits à capacité limitée (le club de l’Ancienne Belgique et ses 250 personnes maximum). Accompagnée des seuls Rocketnumbernine, arrivée en train, elle bouge sans tour manager. « On voyage sur ma carte de crédit, rigole-t-elle. Bah… D’une part, je suis consciente qu’il n’y a pas énormément d’argent qui circule: ce n’est pas le genre de disque qui va se vendre par camions. Mais il y a aussi le fait que Rocketnumbernine et moi-même voulions démarrer lentement, planter quelques graines et voir ce qui se passe. A un moment de ma carrière, je tournais avec plusieurs bus: un pour l’équipe technique, un autre pour le groupe… On avait un catering, toute une garde-robe… C’était pas mal évidemment, mais il y a quelque chose d’intéressant à revenir à une manière de fonctionner plus DIY, plus « artisanale ». Aujourd’hui, je suis plus heureuse, renforcée par quelque chose qui tient peut-être davantage de l’instinct… »

En fait, tout se passe comme si Neneh Cherry se rapprochait de ses tout débuts, quand elle frayait avec la clique punk féminine londonienne, ou que son beau-père, le jazzman Don Cherry, l’emmenait en tournée avec les Slits. Quittant le domicile familial à l’âge de 16 ans, elle se retrouvera même à chanter avec le groupe, intégrant un peu plus tard Rip Rig + Panic. « C’est comme une boucle en effet. J’ai pas mal bougé, fait des tas de choses différentes, mais tout est connecté. C’est le même voyage en quelque sorte. Le son est différent, mais l’endroit de départ est identique. »

?NENEH CHERRY, BLANK PROJECT, DISTRIBUÉ PAR SMALLTOWN SUPERSOUND/NEWS. EN CONCERT, LE 15/08, AU PUKKELPOP, HASSELT.

RENCONTRE Laurent Hoebrechts

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