AVEC ROUTE IRISH, KEN LOACH PORTE LE REGARD SUR LE CONFLIT IRAKIEN. L’ENGAGEMENT CHEVILLÉ À SA CAMÉRA, LE CINÉASTE SE LIVRE À UNE VIRULENTE DÉNONCIATION DU BUSINESS DE LA GUERRE.

La récréation est terminée. Après un Looking for Eric léger, quoique non dénué d’une dimension sociale, Route Irish voit Ken Loach revenir au cinéma politique: « Il était important pour nous de faire un film « sérieux », sans concessions », explique, à ce propos, Rebecca O’Brien, sa productrice. Et, de ce point de vue, Route Irish respecte assurément son cahier des charges. Loach y met en scène des contractors -le terme moderne pour désigner des mercenaires-, en l’occurrence 2 jeunes Anglais partis sur le terrain irakien dans l’espoir de se faire un maximum de blé. La mort de l’un d’eux, sur la Route Irish, qui mène de Bagdad à son aéroport, et réputée « route la plus dangereuse du monde » amènera Fergus, son camarade, à mener sa propre enquête…

Au départ de leur histoire, c’est à une virulente dénonciation du business de la guerre que se livre le cinéaste britannique, pour un film au propos aiguisé mais à la manière quelque peu discutable: comme emporté par son élan, le réalisateur du Vent se lève y a la main fort lourde en effet… Si on l’a donc déjà connu plus inspiré, la sincérité de Ken Loach ne se conteste pour autant nullement. Invité de dernière minute au festival de Cannes, le réalisateur y a d’ailleurs la courtoisie particulièrement remontée. Et d’évoquer la nécessité impérieuse sous-tendant Route Irish: « Beaucoup de gens sont contre la guerre, en effet. Mais notre gouvernement ne l’est pas, et personne n’a encore payé le prix pour avoir entamé une guerre illégale. Il s’en trouve par ailleurs toujours pour gagner des millions avec ce conflit. Qui plus est, l’histoire que nous voulions raconter, Paul Laverty et moi, va un peu plus loin: la privatisation de la guerre est un phénomène nouveau, qui n’a jamais été approuvé par vote, et qui s’est produit comme par magie. Nous payons d’immenses fortunes pour occuper un pays illégalement, il y a tant de choses à dire… « 

Ambiguïté morale

L’histoire de Fergus, Loach et Laverty, le scénariste d’une dizaine de ses films, ont choisi de la conduire à la manière d’un thriller, sans doute pas leur meilleure idée, le propos se désincarnant quelque peu dans une mécanique narrative fort appuyée – « il s’agissait d’explorer ce puzzle: une information conduit dans une direction, une autre d’un autre côté, nous avons essayé d’en suivre la logique », objecte le réalisateur. Le film accompagne ainsi le jeune homme au gré de révélations successives, Loach -et c’est là le mérite principal du film- montrant les ravages de la guerre sur ceux qui l’ont vécue et leurs proches, tout en faisant évoluer son personnage sur un fil ténu où les repères moraux semblent bientôt s’estomper. « Je ne porte pas de jugement sur quelqu’un comme Fergus. Ce serait indécent, en étant installé ici, à Cannes, de condamner quelqu’un comme lui: ce sont des jeunes gens qui ont mis leur vie en danger, dans l’espoir d’améliorer leur condition. Qui sommes-nous pour dire qu’ils avaient tort? Mais ceux qui étaient derrière eux, et qui leur ont fait miroiter des fortunes, méritent une condamnation.Je trouve intéressant d’explorer des situations qui nous placent dans une sorte d’ambiguïté morale, j’y vois le moteur de bonnes fictions. »

S’agissant de Route Irish et de Fergus, animé par sa loyauté envers son ami à laquelle se mêle une part de dégoût pour ce qu’il a vu, mais aveuglé encore par ses démons, le désir de vengeance l’amènera à des extrémités auxquelles le cinéma de Ken Loach n’avait guère habitué. Ainsi, en particulier, d’une scène de torture pratiquement insoutenable, surprenante dans le chef d’un cinéaste n’ayant jamais caché combien il était mal à l’aise avec la violence à l’écran. A croire, pour tout dire, que le réalisateur est plus en colère que jamais: « La colère est à mes yeux la seule réponse à cette guerre et aux mensonges qui l’ont accompagnée. C’est un sentiment légitime que nous exprimons au nom de ceux qui n’ont pas le moyen de faire des films, ces Irakiens que nous avons rencontrés en Jordanie, par exemple, des gens qui n’ont pas de voix. Nous devrions tous être en colère…  » Allons, à bientôt 75 ans, Loach n’a rien perdu de son mordant.

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À CANNES

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