Le réalisateur britannique est au meilleur de sa forme dans Tamara Drewe, comédie savoureuse adaptée du roman graphique éponyme de Posy Simmonds.

Il y a 2 Stephen Frears, au moins: la version bougonne, avec qui un entretien peut rapidement virer au (très) long chemin de croix. Et la version enjouée qui, une fois brisée la glace, se révèle d’un abord charmant, jamais avare d’un bon mot ni d’observations qu’il a naturellement aiguisées -on ne se refait pas, en effet. Si l’humeur du jour est dictée par la satisfaction que lui inspire son dernier film, nul doute que Tamara Drewe compte parmi ceux qu’il affectionne, le réalisateur britannique s’acquittant du service après-vente avec un entrain qu’on ne lui connaissait plus depuis Hi-lo Country, à vue de nez.

Adapté du roman graphique éponyme de Posy Simmonds -une amie de 30 ans-, le film compte, il est vrai, parmi les plus savoureux qu’ait tournés un réalisateur qui en connaît un bout en la matière, postulat vérifié de Prick up Your Ears en The Queen. « J’avais découvert Tamara Drewe dans le Guardian, où l’histoire était publiée en feuilleton, commence-t-il. Mais je n’aurais jamais imaginé que l’on puisse en tirer un film. Ce n’est que lorsque l’on m’a envoyé le scénario que l’idée m’a traversé l’esprit. Je ne pouvais pas m’interrompre de rire. Posy est une femme brillante à l’intelligence acérée: l’observation, chez elle, est à la fois aiguë et fort drôle. « 

S’il n’a pas participé au travail d’adaptation à proprement parler, Frears n’en évoque pas moins un processus « libérateur. J’ai pu m’affranchir du naturalisme. «  Non sans trouver dans le matériau d’origine matière à nourrir une verve qu’il a volontiers corrosive. Le regard porté par Posy Simmonds sur cette retraite d’écrivains chamboulée par l’irruption dans le champ de la ravageuse Tamara Drewe ne manque pas de piquant, en effet, renforcé par l’accentuation à l’écran du rôle de 2 adolescentes dissimulant à grand peine leur profil d’authentiques pestes. « Ce sont de formidables personnages, observe-t-il sans chercher à réprimer un rire. Les pousser à l’avant-plan permettait de changer le point de vue dramatique: elles font une critique sans ménagement de tout ce qui arrive, et rendent donc la perspective d’ensemble plus intéressante. »

Avec elles, c’est aussi, en sus d’un échantillon gratiné de la comédie humaine, l’aliénation contemporaine qui semble s’inviter à l’écran, dans ce qui ressemble à une expression de l’ennui abyssal découlant de leur environnement. Remarque qui a le don de renvoyer Frears à sa propre enfance, dans l’Angleterre de l’immédiat après-guerre. « J’en connais un bout sur l’ennui, grince-t-il. Grandir à Leicester à l’époque était même d’un ennui mortel. Les années 40 y ont été d’une extrême pauvreté. En dehors des cinémas, il n’y avait strictement rien à faire. » De quoi inoculer durablement un virus qu’entretiendra Frears dans sa jeunesse, coïncidant à une période où le cinéma européen est en pleine effervescence, entre Free Cinema et Nouvelle Vague. « Les films étaient au centre de la vie de tout un chacun. Tout le monde allait voir un film d’Ingmar Bergman ou de François Truffaut, ils faisaient partie du cours de l’existence. Ce qui est loin d’encore être le cas aujourd’hui.  »

Son entrée dans la profession, Stephen Frears, qui se destinait plutôt au théâtre, la doit à Karel Reisz, qui l’engage comme assistant pour Morgan!, en 1965. Un passage fructueux par la BBC plus loin, et le futur réalisateur de The Queen entame le parcours que l’on sait, composant l’une des filmographies les plus enthousiasmantes et éclectiques du cinéma anglais -non sans, par ailleurs, tourner, à l’occasion, aux Etats-Unis. Il y a en effet chez Frears un côté réalisateur à l’ancienne, comme il en évoluait, et non des moindres, au sein des studios hollywoodiens. « J’en suis conscient. A l’époque, ces films étaient faits par les producteurs. Et les réalisateurs s’occupaient des atouts les plus onéreux des studios, les stars. Je dis souvent que je fais la photographie principale des films. Et si, en plus, il y a des acteurs et des dialogues, je peux m’en occuper. Un film se tourne avec des collaborateurs. Je suis payé pour être le responsable, mais dans les faits, le processus de collaboration est essentiel. » L’homme répugne à l’appellation d’auteur, en effet. Difficile, pourtant, de ne pas trouver dans ses films, Tamara Drewe compris, un ton éminemment personnel, quelque chose que l’on pourrait identifier à une « Frears Touch » -considération qu’il esquive toutefois d’une boutade: « Lubitsch avait une touch, et Billy Wilder aussi… « 

Du jamais vu

Ce qu’il ne conteste pas, par contre, c’est le constant renouvellement de son inspiration: « C’est quelque chose qui s’impose à moi plus que je ne le recherche. J’ai eu beaucoup de chance: My Beautiful Laundrette était original, comme l’a été plus tard Dangerous Liaisons. On ne peut jamais qu’espérer des scénarios ayant cette fraîcheur tout en croisant les doigts pour être libre au moment où ils se présenteront. Je n’aime rien tant que l’invitation à me projeter dans un monde nouveau. Quand j’ai lu Tamara Drewe , j’ai eu le sentiment que cela ne ressemblait à rien d’autre, d’avoir affaire à quelque chose d’entièrement frais et original, qui serait donc susceptible d’intéresser le public. » Constat servi assorti d’une considération plus générale: « Aujourd’hui, ce que recherchent avant tout les spectateurs, c’est la nouveauté. En ce sens, le cinéma en est pratiquement revenu à ses tous débuts, lorsque les frères Lumière tournaient Entrée en gare de La Ciotat , quelque chose que personne n’avait encore jamais vu.  » Une réalité dont Frears a su parfaitement s’accommoder, réussissant à se renouveler comme par enchantement plutôt que par habitude, non sans assortir son cinéma d’un esprit que l’on ne saurait mieux qualifier de spirituel et caustique, venu joliment l’écarter des canons des productions mainstream. Auteur malgré lui, en quelque sorte, mais pour notre plus grand bonheur.

Rencontre Jean-François Pluijgers

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