Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

CONTE D’ÉTÉ – DANS CE QUI EST SON DERNIER LIVRE, RICHARD YATES FILE LES SPLENDEURS ET MISÈRES D’UNE MIDDLE CLASS QUI N’A CESSÉ DE LE HANTER. DU GRAND AMERICAN ART.

DE RICHARD YATES, ÉDITIONS ROBERT LAFFONT, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA), 216 PAGES.

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En 1999, la Boston Review fait paraître un papier du romancier américain Stewart O’Nan, à l’intitulé sans équivoque: Le monde perdu de Richard Yates. Comment l’immense écrivain de l’Age de l’Angoisse a disparu du monde de l’édition. O’Nan y donne voix à l’une des constantes insondables de l’histoire littéraire: certains écrivains indépassables, adulés par leurs pairs -concernant Richard Yates (1926-1992), il semble que Raymond Carver, Richard Ford, John Cheever n’ont cessé de clamer l’étendue de leur dette à son égard-, sont inexplicablement snobés des lecteurs. Leur réputation est là, flottante, vaguement intimidante, qui ne les empêche pas d’attirer la poussière. Effet du plaidoyer O’Nan ou pas, Yates est en train de sortir de la sorte d’engourdissement blasé dans lequel il était tombé. Et avec lui l’une des £uvres les plus perçantes jamais écrites sur la middle class de la post-Dépression. L’une des plus désabusées, aussi. On se souvient de l’entaille, profonde, laissée par le sublime La fenêtre panoramique, à peine cicatrisée et déjà réouverte par cette nouvelle excavation. Un été à Cold Spring prend place à Long Island, au lendemain de l’attaque de Pearl Harbor, le temps des 2 mois d’un été décisif pour Evan Shepard, fils d’un militaire à la retraite et d’une mère dépressive, divorcé d’un premier mariage hâtif et en passe de rater celui qui le lie à sa seconde épouse, Rachel. L’érosion intime d’un couple et de ses illusions de banlieue chic, c’était déjà le n£ud de La fenêtre panoramique. Un thème littéraire obsédant que Yates redistribue ici sur 2 générations, entre lesquelles le roman met au jour un passage de relais vicieux autant qu’implicite.

Chauffé à blanc

Le style de Yates est sans encaissements, sans efforts. Presque blanc. Une manière de céder le nuancier aux existences. Avec une incroyable légèreté, il monte ses personnages en quelques poses de silhouette fébrile, gestes infimes ou habitudes d’expression. Il fait passer le temps magiquement, avec quelques ellipses et beaucoup de vitesse, donnant la sensation de survoler les existences, comme pour appuyer la rapidité de dilemmes peu pesés, de directions faciles, de destins décomposés avant même d’avoir pu prétendre à la densité. Ceux de parents attendant de leurs enfants qu’ils justifient leurs discours usés. Leurs enracinements peureux, leur lâche inertie. Et de rejetons brûlant de passions vides, inhabitées, hâtivement placardées sur des prétentions aveugles:  » L’amour n’était peut-être pas tout dans la vie, mais ni l’un ni l’autre n’eut le temps d’envisager cette éventualité avant le mariage.  » De taches suspectes en odeurs incommodantes, d’humidité rampante en déclarations affectées, le génial romancier excelle, avec une compassion troublante, à ce relevé de notes dissonantes, n’accordant à ses protagonistes que de rares moments de clairvoyance -toujours dans les reflets de miroirs, de fenêtres. L’été, ses latences, sa langueur, a toujours été une saison terriblement romanesque, à même de précipiter la violente combustion des espoirs. On le sait depuis La traversée de l’été de Truman Capote, depuis Une saison ardente de Richard Ford. Yates en fait la nouvelle étouffante et incandescente démonstration.

YSALINE PARISIS

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