DANS L’APOLLONIDE, BERTRAND BONELLO S’INSINUE DANS UNE MAISON CLOSE, AU TOURNANT DU XXE SIÈCLE. TOUT EN LANGUEUR, LE FILM PRODUIT UNE RÉSONANCE SUBTILE.

Cinéaste à l’univers singulier-pluriel -sa filmographie conduit du Pornographe à De la guerre-, Bertrand Bonello s’invite, avec L’apollonide, dans l’intimité d’une maison close, au tournant du XXe siècle. Les souvenirs qu’il y collecte composent un séduisant portrait de femmes, dont les nuances se précisent au gré d’une mise en scène à la langueur cajolante, en même temps que s’y esquissent les contours d’une époque. Le prélude à une rencontre feutrée, au lendemain de la projection du film en compétition à Cannes.

Pourquoi vous être intéressé à une maison close?

C’est une envie qui en regroupe plusieurs: la première, c’était de faire un film avec un groupe de femmes, et de jeunes femmes. La deuxième, c’était de me plonger dans les maisons closes. J’avais commencé, il y a très longtemps, un scénario qui se passait dans les maisons closes, de manière contemporaine, mais que j’avais abandonné, vu la complexité, la réouverture, etc. Je l’ai repris de manière extrêmement classique et historique, en faisant moins le malin. Enfin, la troisième chose, c’est que j’avais envie de faire un film plus romanesque que mes précédents, avec plus de personnages. Et puis, le côté monde clos qui peut devenir presque mental au bout d’un moment parce qu’on ne sort pas m’a ouvert des perspectives.

Dans quelle direction avez-vous conduit votre recherche documentaire?

Le plus difficile, c’est de trouver des choses qui parlent des prostituées elles-mêmes, et qui ne soient pas seulement le regard des clients que l’on peut connaître par beaucoup de textes, de romans et de tableaux. Laure Adler a écrit un livre sur le quotidien de ces femmes ( Les maisons closes 1830-1930, ndlr), et après, je pense être tombé sur les mêmes livres qu’elle, et j’ai accumulé de la matière allant des archives de police aux journaux qui venaient de ces maisons. J’étais moins intéressé par les destins -ça, c’est à moi de les écrire- que par les détails. A quelle heure on mange, comment elles se coiffent, qu’est-ce qu’on fait avec le sperme, des trucs très précis, même un peu triviaux, mais dans le bon sens: la banalité du quotidien. En gros, j’étais très intéressé par ce qu’elles faisaient entre midi, quand elles se lèvent, et 20 heures, quand elles descendent l’escalier.

Pourquoi avoir choisi de situer votre film très précisément au tournant du siècle?

Les tournants de siècles sont passionnants. Avec le recul, on voit que le XIXe siècle se termine sur une idée de l’âge d’or, en pensant que le XXe évacuera les maladies ou les guerres, etc. Or le XXe n’a cessé de montrer que c’était un siècle de chaos et de violence. Il y a certaines idées qui disparaissent au profit d’une nouvelle réalité qui arrive. J’avais envie, sans didactisme, que l’on puisse sentir ce qui se passe à l’intérieur, et que la fin de cette maison corresponde à la fin d’une époque, où le monde ne sera plus le même.

Quand on s’attèle à un film d’époque, comment procède-t-on pour éviter le côté poussiéreux?

C’est vraiment la grande peur, mais il y a des astuces. C’est-à-dire essayer de ne jamais avoir un objet ancien. En 1900, les corsets, ils étaient neufs. Après, pour le contemporain, il s’agit de ne pas copier une langue que, de toute manière, personne ne connaît. Il y a des expressions que les gens n’utilisent pas dans les films d’époque, mais dont je me suis aperçu qu’elles existaient, comme « tu fais chier », cela se disait. On évite les anachronismes, c’est tout. Et il ne faut pas avoir peur d’un certain présent donné par le jeu. Le choix des comédiennes a été beaucoup pensé par rapport à ça: comment avoir des filles qui donnent du présent tout en pouvant porter un corset sans être ridicules.

Comment traduire, par la mise en scène, un sentiment proche de la langueur?

Je suis parti sur quelque chose d’un peu opiacé, qui garde une sensualité, et où ça ne crie pas fort, même si percent des éclats de rire pour montrer la joie. C’est pratiquement la tonalité sonore qui m’a guidé. Après, dans tous mes films, la mise en scène n’est pas ultra-speed. Et on a travaillé au montage pour qu’il n’y ait aucune séquence qui s’arrête: on les coupe presque toujours avant la fin, ce qui débouche sur une espèce de tourbillon. Et comme le film a une teneur de plus en plus mélancolique, toutes ces choses réunies donnent un peu de langueur…

ENTRETIEN JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À CANNES

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