NÉ SUR LES CENDRES DES SMITH WESTERNS ET EMMENÉ PAR UN BATTEUR/CHANTEUR ÉCHAPPÉ D’UNKNOWN MORTAL ORCHESTRA, WHITNEY SIGNE AVEC LIGHT UPON THE LAKE UN SPLENDIDE ALBUM DE RUPTURE À LA CROISÉE DE LA SOUL, DU FOLK ET DE LA COUNTRY. NO WOMAN, NO CRY…

Whitney. Un vieux troquet. Le piétonnier bruxellois. Un matin d’avril. L’un a faim. L’autre est légèrement malade. Et le troisième cherche des pellicules pour son appareil photo. Le jeune groupe de Chicago est descendu en force défendre son premier album, le très joli Light Upon the Lake, sorti chez Secretly Canadian. Whitney est le projet de Julien Ehrlich, grand échalas ancien batteur d’Unknown Mortal Orchestra, et de son pote Max Kakacek, tout aussi gringalet, le cheveu bouclé et à l’occasion d’imposantes lunettes sur le nez. Les deux jeunes hommes n’affichent qu’une bonne vingtaine d’années au compteur mais ont déjà roulé leur bosse. Ils ont même joué ensemble au sein d’un groupe de rock indé, The Smith Westerns, qui n’a jamais vraiment passionné.

« Notre toute première rencontre remonte à cinq ans, se souvient Ehrlich. C’était en 2011. UMO assurait la première partie des Smith Westerns au Doug Fir Lounge, à Portland, et on s’est retrouvés à faire la fête ensemble. J’ai quitté Unknown Mortal Orchestra à cause de la barrière de l’âge pas toujours évidente à surmonter après une longue et dure année sur les routes. Puis, j’ai reçu un message de Max. Je savais que leur batteur était parti et j’avais envie de jouer avec des mecs de ma génération.« 

Garçon tout posé, du genre gendre idéal, le batteur à la voix d’enfant de choeur a grandi dans le sud de l’Oregon, une ville assez trash, infestée par la méthadone. »Ça allait, rigole-t-il. J’en prenais pas… J’avais de chouettes potes.« C’est après la séparation des Smith Westerns, alors qu’ils sont colocataires et viennent tous deux de faire face à une rupture sentimentale, que lui et Kakacek donnent naissance à Whitney. « Max et moi avons investi notre temps dans d’autres projets. Il a bossé en solo et moi sur un album avec les autres membres du groupe. Un jour, on s’est levés et on a écrit une chanson ensemble. Il avait acheté ce magnétophone et on a recommencé le lendemain matin. J’imagine que ces morceaux nous rendaient plus heureux que les autres sur lesquels on travaillait. »

Dave’s Song et On My Own, leurs deux premières compositions, figurent l’une et l’autre sur l’album. « Je ne me souviens pas vraiment de ce qu’on avait fait la veille, retrace son binôme. Mais on s’est réveillés avec une gueule de bois. On ne savait pas trop ce qu’on faisait et les chansons sont nées. On a terminé la première en 20 minutes. Et on s’est dit: super, c’est spontané et amusant. On essaiera à nouveau de capter cette énergie demain. »

« I left drinking on the city train/To spend some time on the road/Then one morning I woke up in LA/Caught my breath on the coast. » Dès le premier couplet de No Woman, titre d’ouverture et formidable single de Light Upon the Lake, on ne peut s’empêcher de se demander qui est ce Whitney. « C’est pas nécessairement un garçon. Ça peut être une fille aussi. Et sur ce premier album, je pense que ce qui le ou la caractérise, c’est une attachante tristesse enjouée. Celle de quelqu’un qui se retrouve plongé dans l’obscurité mais garde des étincelles dans les yeux. »

« Je ne sais pas si on peut vraiment le décrire. Le personnifier, enchaîne Kakacek. On l’a surtout utilisé comme un outil d’écriture. Pendant ces premiers jours, c’était une manière de trouver un son. Puis Whitney est véritablement devenu notre groupe. Celui dans lequel on a mis nos émotions et sentiments personnels. »

Brillamment écrit et mis en musique, Light Upon the Lake se pose comme un disque bluffant de chagrin d’amour. « On n’a pas démarré avec un agenda, commente Ehrlich. Mais c’est ce qu’on vivait tous les deux à l’époque. Une séparation. Il nous était donc facile d’écrire des paroles sur le sujet. Beaucoup de gens s’y attaquent mais je suis vraiment fier de la manière dont on l’a abordé. Avec honnêteté et de façon à ce qu’on en soit encore contents dans 15 ou 20 ans. »

La conversation dévie sur les meilleurs albums de rupture. Whitney cite Here, My Dear de Marvin Gaye et déclare sa flamme à Angel Olsen. »Elle a écrit de super chansons sur l’amour et les coeurs brisés. » Le fait d’être allés travailler les morceaux dans une cabane en pleine nature n’a rien à voir avec For Emma, Forever Ago et le mythe Bon-Iverien du singer-songwriter qui s’isole du monde pour mieux se reconstruire. « On n’est pas du tout partis là-bas intentionnellement avec en tête l’idée d’y composer un disque. On a d’abord beaucoup bossé à Chicago dans notre appartement mais on a fini par le perdre. Pendant deux mois, on s’est retrouvés SDF. On n’avait nulle part où crécher. C’est à ce moment-là qu’on est partis se réfugier dans cette cabane familiale. C’était l’hiver. Un hiver terrible, moins 20 degrés pendant des semaines, de la neige en permanence, dix centimètres de plus chaque jour. Il y avait un lac gelé à côté. On n’avait rien d’autre à faire que de jouer sur ce piano désaccordé et de travailler sur le disque. C’était parfait. »

Bouffée de Foxygen

Porté par l’enthousiasme de la jeunesse, Whitney est parti enregistrer son disque en Californie chez Jonathan Rado, moitié de Foxygen. « Je me rappelle que Jake d’UMO m’avait fait découvrir Foxygen dans sa voiture à Portland, retrace Ehrlich. Le pote d’un pote (apparemment Tobias Jesso Jr., NDLR) lui a fait écouter nos démos et on a reçu un message qui nous disait que ça l’intéressait. C’est pas comme si on avait eu le moindre producteur à l’esprit. C’était une super opportunité et en plus on a tous plus ou moins le même âge. J’avais bossé avec des producteurs qui avaient dix ou quinze ans de plus que nous et qui adoptaient une position de boss. Là, on a juste travaillé tous ensemble. »

Discrets, pas envahissants mais un peu fauchés, Ehrlich et Kakacek ont planté des tentes dans le jardin du Foxygen le temps de l’enregistrement. « Il n’y a vraiment pas grand-chose à foutre autour de chez lui. Ça correspond à sa personnalité. Tout ce qu’il veut faire c’est écrire et enregistrer. On a suivi la vibe. Rado habite à une petite heure de Los Angeles. On était là pour trois semaines. On savait que les autres membres du groupe effectueraient des allées et venues. C’est une petite maison. On voulait pas les faire chier lui et sa copine. Il nous a envoyé une photo il y a quelques semaines. Les tentes étaient encore dans son jardin. A côté d’un hamac défoncé. Depuis, on en a acheté une de compète pour dix personnes. C’est devenu très commun pour nous en tournée maintenant. »

Aussi soignée que sonne sa musique tapissée de piano et d’une irrésistible trompette, Whitney sent la débrouille et la bonne franquette. La chorale qui l’accompagne sur Golden Days, Polly et Follow est composée d’amis proches et de parents. Elle a été enregistrée avec deux micros à l’occasion d’une fête dans leur appartement.

Country, soul, folk… Il y a tout ça dans le premier album de Whitney, qui marche quelque part sur les traces d’un Matthew E. White. Les Américains aiment remonter le temps et fouiller dans le passé en quête de vieux soulmen, folkeux et chanteurs country méconnus. « On adore Jim Ford, qui est un peu les trois à la fois. Un singer-songwriter des sixties à la Gram Parsons. Il n’est jamais devenu célèbre. Il a notamment écrit pour Bobby Womack mais il est tombé dans la drogue et a arrêté la musique avant de revenir sur le tard. On vient aussi de découvrir Dexter Wansel. Sa chanson Theme from the Planets est formidable. »

Tout en évoquant les premières démos de Dolly Parton, Kakacek et Ehrlich partagent leur fantasme de jouer au Stagecoach Festival. « C’est un grand événement pop country avec plein de gens qui chantent des chansons sur leur camion… Tout le monde a son chapeau de cowboy, boit de la Budweiser et chique même probablement du tabac. Le marché de la country reste énorme aux Etats-Unis. Sans doute le plus grand de la musique. C’est ce que t’entends à la radio à la campagne. »

Whitney, qui aime braquer les projecteurs sur ses amis musiciens de Chicago (Ne-Hi, Ryley Walker, Twin Peaks), se fait une fierté de jouer avec les genres. « Il s’agit surtout de trouver les textures et les mélodies qui expriment le mieux tes sentiments. L’honnêteté, la tristesse, l’espoir… »

Whitney sent bon l’Amérique. Celle d’Allen Toussaint, dont il a sorti une reprise, Southern Nights, en guise de tribute. « Mon père, qui m’a appris à jouer de la batterie, me l’a fait découvrir. On l’avait déjà enregistrée cinq mois avant sa mort. » Celle de The Band aussi, inévitablement. « Levon Helm représente pour moi le meilleur exemple de batteur-chanteur. Il est parfait. C’est un Dieu. »

Ehrlich a toujours assuré des choeurs. »Dans Unknown Mortal Orchestra, je chantais beaucoup d’ailleurs. Un peu dans les Smith Westerns aussi. Je joue de la batterie depuis si longtemps que maintenant c’est la mémoire de mes muscles qui est à l’ouvrage. Le langage de mon instrument est tellement fluide que chanter en même temps est devenu facile. »

Whitney pense déjà à l’avenir. « Il faut se laisser vivre entre ses disques pour avoir des expériences à partager. Mais nous ne sommes plus des solitaires. Le prochain album devrait sonner plus heureux. » Une de perdue, dix de retrouvées. Don’t worry, be happy…

LIGHT UPON THE LAKE, DISTRIBUÉ PAR SECRETLY CANADIAN/KONKURRENT.

8

LE 17/6 À LA ROTONDE DU BOTANIQUE

RENCONTRE Julien Broquet

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content