Flash-back. Après le remarqué American Prophet (1996) mais bien avant Moi contre les États-Unis d’Amérique (Man Booker Prize 2016), Paul Beatty publiait Tuff (2000), enfin traduit en français. Comme à son habitude, l’écrivain afro-américain y tord joyeusement la langue et le cou à tous les stéréotypes dans lesquels on voudrait enfermer le mâle noir. Aussi complexe et insaisissable que la mosaïque démographique du Spanish Harlem où il a établi son QG, Winston Foshay -« Tuffy » pour les intimes- échappe à toutes les étiquettes. Un peu gangsta (mais rangé du trafic de drogue après avoir miraculeusement échappé à un règlement de compte), un peu poète, un peu arnaqueur, un peu provocateur, un peu cinéphile (il admire… Ozu), un peu père aussi, ce colosse ressemble au samouraï du Ghost Dog de Jarmusch mais un samouraï qui aurait choisi la compagnie et les plaisirs charnels plutôt que la solitude et l’ascétisme. Avec sa bande, ce fils d’un ex-Black Panther tient le pavé, débat sur le perron et rend la justice à sa manière. Capable de tuer un pitbull à mains nues mais attendri par un poisson rouge, il cultive les contradictions et le langage cru. Humour, irrévérence et tchatche épicée d’argot dynamitent un récit foisonnant qui avance pourtant sans véritable enjeu, sinon de dresser une cartographie impressionniste de cet aquarium urbain. Lancé dans une tentative de rédemption improbable (avec l’aide d’un rabbin juif noir qui a égaré le décodeur du ghetto), Winston envisage sérieusement de se présenter aux élections municipales. Pour faire entendre enfin la voix des déclassés de son espèce. Une chronique chaotique, satirique et poétique de l’Amérique en feu.

De Paul Beatty, éditions Cambourakis, traduit de l’anglais (États-Unis) par Nathalie Bru, 354 pages.

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