On voudrait pouvoir toujours contempler le verre à moitié plein, déceler systématiquement dans le moindre pet technologique la promesse de lendemains qui chantent ou dégainer des yeux de Chimène à chaque début de révolution numériquement assistée. Bref, nager dans un relativisme béat à faire pâlir d’envie Einstein. Parfois pourtant, même après une cure intensive de Prozac, on aurait bien du mal à ne pas se laisser gagner par une insondable lassitude, à ne pas repérer les vices cachés sous la couche trop brillante de vernis. L’hymne à la joie synthétique a beau résonner en bruit de fond publicitaire, on cale, on s’arc-boute, on se cabre. Comme un mulet qui refuse soudain d’avancer. Certains verront dans cette résistance un fond de paranoïa, d’autres le bout du nez d’une dépression de grande ampleur, d’autres encore une forme de prurit réactionnaire. Soit. On accepte les fleurs comme les tomates. Mais pas les sparadraps sur la bouche! Alors, qu’est-ce qui nous démange, nous chatouille, nous picote à ce point en ce mois de février 2011? Réponse: une forme de paresse intellectuelle qui, de bon enfant, est en train de virer à l’aigre d’un rejet viscéral de la culture. On en voit déjà brandir des pancartes avec l’inscription « pisse-vinaigre », « Cassandre » ou, pire, « intello ». Sans doute n’ont-ils pas encore pris la mesure du travail de sape, pourtant à l’£uvre tous les soirs sur le petit écran, ce grand désert artistique où ne poussent plus que quelques rares fleurs au parfum capiteux. C’est le peintre Luc Tuymans qui faisait ce constat accablant à propos des dirigeants flamands l’autre jour dans La Libre:  » Ceux qui nous gouvernent sont a-culturels. Le monde culturel (il réagit en général comme moi) est devenu minoritaire. Pas seulement en Belgique. Aux Pays-Bas, on parle maintenant de « haine de l’art », rejetant l’art comme élitiste et de gauche. » Dans ce domaine, les Flamands n’ont pas le monopole. Que ce soit en Wallonie, à Bruxelles mais aussi en France ou en Italie, on s’enorgueillit de préférer la bonne comédie populaire qui tache au regard acéré et original d’un auteur sur le monde. Et ce ne sont pas Sarkozy et Berlusconi, symptômes de cette dérive au tout-à-l’émotion, qui diront le contraire. Bien sûr, personne n’est obligé d’aimer l’opéra ou le théâtre. Mais de là à cracher dessus… Encouragé par ce climat culturicide, le divertissement ne prend pas seulement le pas sur la créativité. Il la noie, la dilue, la digère. On pourrait en rire s’il y avait l’espoir d’une lumière au bout du tunnel. Mais dans le meilleur des cas, on se condamne à l’ennui. Dans le pire, à l’obscurantisme. « … un monde sans littérature serait un monde sans désirs, sans idéal, sans insolence, un monde d’automates privés de ce qui fait que l’être humain le soit vraiment: la capacité de sortir de soi-même pour devenir un autre et des autres, modelés dans l’argile de nos rêves.  » Encore un aigri? Non, un Prix Nobel de littérature, Mario Vargas Llosa, au chevet d’un malade: nous-mêmes… l

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TOUS LES JEUDIS À 8H45, SUR PURE FM

PAR LAURENT RAPHAËL

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