Tuer l’Americana

S’attaquer aux mythes américains est certainement plus facile de ce côté-ci de l’Atlantique. Fabien Nury et Brüno n’ont pourtant pas choisi la facilité.

Chris Kyle est l’archétype du héros américain. Sniper au sein des Navy SEALs durant la deuxième guerre d’Irak, il détient le record mondial du plus grand nombre de cibles abattues. À son retour au pays, il a écrit son autobiographie et la machine médiatique s’est emballée. Clint Eastwood s’est emparé de son bouquin pour l’adapter au cinéma. Entre-temps, Chris a fondé une entreprise de sécurité privée et s’est également occupé, à sa manière, des vétérans estropiés ou souffrant de syndromes post-traumatiques en leur proposant des séances de tir sur des terrains privés. Eddie Ray Routh est l’un d’eux. Son parcours est moins exemplaire. Il a fréquenté le même lycée de banlieue que Chris, s’est engagé dans le Corps des Marines et a été affecté à l’armurerie comme magasinier, il n’a jamais participé à un combat. Cela ne l’a pas empêché de vivre des situations très stressantes en Irak ou plus tard en Haïti après le tremblement de terre. Démobilisé, il s’est enfermé dans la fumette et la boisson. À la demande de sa mère, Chris Kyle lui a proposé une de ses séances de tir-thérapie. C’est lors de celle-ci que Ray a tué Chris et son ami Chad Littlefield.

Tuer l'Americana

Le bien contre le mal

L’angle d’attaque que Fabien Nury et Brüno ont choisi pour ce reportage dessiné est assez fortiche mais pourra en désarçonner certains. Monté comme un documentaire télévisé à l’américaine (la bande-son triomphante en moins), il dresse le portrait d’un homme -Chris Kyle- façon pub Pepsodent dans laquelle le héros s’adresse directement aux lecteurs. On le voit au front, en famille avec sa superbe femme et ses superbes enfants, en séance de muscu avec son pote Chad… Les auteurs insèrent dans le fil du récit de longs extraits d’entretiens télévisés de la chaîne Fox avec le héros, et plus tard avec sa veuve. La personnalité d’Eddie Ray Routh est quant à elle abordée au travers des témoignages de sa famille, d’un psy et de sa petite amie. Il n’aura droit aux honneurs télévisuels que lors de son arrestation. Construit plus que probablement à partir de documents rassemblés par les auteurs (il n’est fait mention d’aucune source si ce n’est le logo d’une chaîne de télévision qui apparaît lors de la retranscription des fameux entretiens télévisés), le récit semble le plus objectif possible. Une formule alambiquée au début de l’album prévient d’emblée que les auteurs ont un point de vue personnel et qu’il  » est évidemment sujet à des appréciations différentes des protagonistes représentés« . Mais différentes de quoi? de qui? On ne le saura pas. Il faut attendre les dernières pages pour qu’enfin les auteurs dévoilent leur jeu. Parions sur l’intelligence du lecteur qui, avec toutes les informations rassemblées ici, pourra faire le tri entre le bon grain et l’ivraie.

L’homme qui tua Chris Kyle

De Brüno et Fabien Nury, édition Dargaud, 164 pages.

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