Tu ne tueras point

Si en mai 2018 l’Irlande a plébiscité à plus de 66 % le droit à l’avortement, l’île a connu des temps bien plus noirs où, entre honte indélébile et blanchisseries Madeleine horrifiques, femmes et jeunes filles ne possédaient aucun libre arbitre. Il en est ainsi de Mary, enfant des tourbières introvertie que son père aime serrer de trop près. Un temps à l’abri au couvent, l’adolescente n’a d’autre choix que de se jeter à nouveau dans la gueule du loup à la mort de sa mère. Enceinte et désemparée, elle se tourne vers une voisine qui, à demi-mot, comprend l’horreur de sa situation et propose de l’emmener avorter en Angleterre. Mais la rumeur fuite: épouses bienséantes pétries de religion (dont la terrifiante Roisin, croisée pro-vie exaltée) comme instances légales s’emparent de Mary et de son foetus avant qu’elle ne commette cet acte que tous condamnent. Qu’importe la détresse de l’intéressée et son statut de victime. Son cas comme son corps sont devenus l’affaire de tous:  » son ventre ressemblait à un hublot à travers lequel elles jetaient des regards indiscrets« . Ironie du sort, toute solution pour faire entendre sa voix à la Cour nécessite l’accord de ce père qui l’a violée et qui veut détourner de lui les soupçons. À une ère où, aux États-Unis comme ailleurs, les libertés individuelles sont fragilisées, c’est plus que jamais le rôle de la littérature d’appuyer là où l’obscurantisme a laissé ses stigmates. Avec Tu ne tueras point, la grande dame des lettres irlandaises Edna O’Brien ( Les Petites Chaises rouges, Un coeur fanatique) nous offre une piqûre de rappel brûlante doublée d’un roman puissamment construit, à la violence d’autant plus sourde qu’elle se drape aussi dans de bonnes intentions citoyennes.

Tu ne tueras point

D’Edna O’Brien, traduit de l’anglais (Irlande) par Pierre-Emmanuel Dauzat, éditions Sabine Wespieser, 360 pages.

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