True crime

© GRETA RYBUS

Confrontée à une affaire sordide, une étudiante en droit de Harvard voit ses convictions sur la peine de mort vaciller. un grand texte sur la culpabilité.

 » La question, c’est de savoir où vous voulez faire commencer la chaîne de causalité. Une fois que vous avez décidé ça, vous avez décidé la signification de toute l’histoire. » Dans L’Empreinte, tout commence (peut-être) par une vocation. Fille d’avocats  » élevée dans le droit comme d’autres enfants sont élevés dans la religion« , Alexandria Marzano-Lesnevich poursuit ses études à Harvard. En 2003, elle gagne la Nouvelle-Orléans pour lutter contre la peine de mort en effectuant un stage dans un cabinet d’avocats spécialisé. Pour l’introduire aux affaires, on soumet la jeune femme à une vidéo présentant les aveux d’un homme condamné pour meurtre. Sur l’écran, Ricky Langley, 37 ans. Il est accusé d’avoir étranglé Jeremy Guillory, un petit garçon de six ans, après avoir abusé de lui. L’exercice tourne au malaise: à sa vision, la future avocate voit ses convictions inexplicablement et violemment basculer. Son propre verdict viendra la glacer:  » Je veux que Ricky meure. » Suite à cela, elle abandonne le droit – » comment aurais-je pu devenir avocate, après avoir souhaité la mort de cet homme? (…)« – et se met à investiguer l’histoire criminelle et judiciaire de Ricky Langley. À la manière de Truman Capote époque De sang froid (1966), et sur base d’une documentation impressionnante (des dizaines de milliers de pages de procès-verbaux d’audience, rapports de sérologie, articles de journaux, dossiers psychiatriques et de séjours en prison), celle qui sans le savoir est en train de choisir la voie de la littérature travaille à la reconstitution obsessionnelle (minutieuse, répétitive) des faits sordides ayant eu lieu dans une petite ville de Louisiane en 1992.

True crime

Passé composé

Le livre n’est pas que ce thriller judiciaire passionnant. L’investigation d’Alexandria la ramène à son propre passé. Dans les yeux de Ricky, elle sait avoir reconnu ceux, silencieux, de son grand-père, silhouette aimée autant qu’épouvantable de son enfance, qui a longtemps abusé d’elle et de sa soeur. Le transfert en appellera d’autres, dans un livre tout entier conduit par la métaphore du corps, pour lever progressivement un véritable faisceau de similitudes, de répétitions et de coïncidences entre les agissements de Langley et les traumas secrets de la famille Marzano-Lesnevich. À partir de là, et à cette exacte collision entre politique et intime, L’Empreinte sera cette enquête régulièrement dérangeante, régulièrement bouleversante, s’arrimant aux mystères les plus sombres de l’humain sans jamais tomber dans l’accusation simple. Empathique, profond, le texte vient en particulier poser une question lancinante -d’autant plus fascinante qu’elle émane d’une écrivaine-: si le but de la justice est de construire une histoire, où faire commencer le récit d’un crime -de ses causes, de sa culpabilité?  » Ce que j’aimais autrefois dans le droit, c’est qu’il ne laisse pas les questions sans réponses. » Désormais professeure d’écriture, Alexandria Marzano-Lesnevich a trouvé dans l’espace aux nuances infinies de la littérature la force de creuser des dossiers qui ont l’inconfort de devoir parfois rester ouverts, sinon définitivement complexes.  » Il n’existe pas d’histoire simple. Il n’existe pas d’histoire achevée. »

L’Empreinte

D’Alexandria Marzano-Lesnevich, éditions Sonatine, traduit de l’anglais (États-Unis) par Héloïse Esquié, 470 pages.

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