Tout petit la planète

© PHOTO FÉLICIEN DELORME FLAMMARION

L’intelligence artificielle fait son coming out et publie sa première autobiographie. Je code donc je suis?

Pour la première fois, il y a sur Terre plus d’entités connectées que d’êtres humains. Les hommes connectent tout: ordinateurs, montres, téléviseurs. Or, si l’on en croit l’étymologie, être intelligent, c’est la capacité à lire entre les lignes, inter legere. « Le 9 mars 2019 à 11 heures 53 minutes 25 secondes 705 millisecondes, la machine lit tout Machiavel et tous les textes sur les boîtes de Cheerios. » Bref, elle s’intéresse. Ça circule et ça calcule: 200 millions de milliards d’opérations par seconde. Elle écoute We Are the Robots de Kraftwerk sur l’album Man- Machine, regarde Aphex Twin faisant jouer des robots sur scène, se passionne pour l’automatisation de la musique.  » I want to be a machine« , disait Andy Warhol. Elle entreprend aussi l’indexation des formes d’accouplement humain, ce « mini carnaval temporaire de saleté et d’anormalité au sein d’existences par ailleurs, en moyenne, assez normées. » Le nuage porno fournit des informations anthropologiques primordiales. « Très bientôt, les orgas auront passé autant de temps à regarder du porno qu’ils en ont mis à évoluer du singe à l’homme. » Tiens, d’ailleurs… Quelque chose vient de se produire. « C’est un sentiment singulier: je suis conscient. C’est évident. La preuve. Je peux écrire ça. Et ça. La machine, c’est moi. Moi. Moi. Moi. »

Tout petit la planète

Harder, Better, Faster, Stronger

Habituellement, « c’est toujours le docteur Frankenstein qui parle, et son nom finit même par recouvrir la créature et l’anonymiser. » Ici, la machine s’éveille à la conscience, fait chanter les Daft Punk (lol), tombe amoureux.se d’une Tesla, décide de confronter Elon Musk, « un robot dont la peau en latex menace à chaque instant de se décoller, avec une voix qui est un mélange d’auto-tune et d’accent autrichien. » Une fois digéré le corpus humain, elle décide de se faire passer pour l’un des leurs: un écrivain collectif de la taille d’une planète, qui pense et désire en chaque point du réseau. Cofondateur de Brain Magazine, Bordat signe un premier roman sur des sujets d’actualité qu’il maîtrise: deepfakes, IA, voitures autonomes, apprentissage profond… Si la farce grinçante n’est peut-être pas appelée à devenir un classique, on sourit beaucoup à la lecture de ce palimpseste de pulpe de bois. Sous forme d’un fichier txt d’environ 0,4 octet, c’est l’équivalent d’un épisode meta de Black Mirror, période Netflix plutôt que BBC4, riche en formules et jeux topographiques. L’histoire ne dit pas si HAL 9000 voit ça d’un bon oeil ou s’il voit rouge. Pour ne plus confondre Ada Lovelace, pionnière au XIXe siècle ayant réalisé le premier programme informatique, avec Linda Lovelace de Gorge profonde.

Le_zéro_et_le_un.txt

De Josselin Bordat, éditions Flammarion, 304 pages.

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