IGORT DÉVOILE SA PASSION POUR LE JAPON DANS UN RÉCIT AUTOBIOGRAPHIQUE PUISSANT. UN VOYAGE AMOUREUX AU PAYS DES ESTAMPES ET DES MANGAS.

Les Cahiers japonais

DE IGORT, ÉDITIONS FUTUROPOLIS, TRADUIT DE L’ITALIEN PAR LAURENT LOMBARD, 183 PAGES.

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C’est une passion dévorante, absolue, vitale. Igort en dévoile tous les recoins dans des Cahiers japonais qui embrassent avec un enthousiasme contagieux cette culture riche en spiritualité et en signes hermétiques. Une fascination d’abord vécue à distance puis consommée lors de multiples voyages sur place, le dessinateur italien devenant même l’un des premiers Européens, dans le sillage de Jodorowsky, à jeter des ponts avec le royaume des mangas.

« Je mentirais si je disais que tout a commencé de façon inattendue, écrit-il à la première page sous un dessin vaporeux de l’iconique mont Fuji. Avant d’y poser le pied pour la première fois, au printemps 1991, je rêvais du Japon depuis au moins dix ans. » Le jeune adulte qui fantasmait dans sa chambre un Japon martial et impénétrable après avoir digéré Barthes et Brian Eno, tous deux passés par la case Japon, ne se doutait pas que quelques années plus tard il allait se retrouver à Tokyo dans les locaux de Kodansha, éditeur emblématique de BD mais aussi de grands noms du patrimoine littéraire, dont Mishima.

Installé dans un appartement de… 14 m2, Igort adopte le rythme et le mode de vie de ses hôtes, travaillant bientôt comme un forcené pour suivre les cadences de parution dans les revues locales de ses séries Amore, un polar sicilien, et surtout Yuri, un comics SF dont les Japonais se montrent très friands. Tout juste s’autorise-t-il quelques balades matinales dans les jardins pour méditer et profiter du silence, et l’une ou l’autre visite à ses héros que sont Taniguchi ou Miyazaki, le réalisateur du Voyage de Chihiro, l’occasion de visiter les mythiques studios Ghibli.

Tradition vs modernité

Les souvenirs de ces rencontres mémorables se mêlent aux anecdotes cocasses sur les aléas du quotidien pour un étranger ne maîtrisant pas les us et coutumes. Moins guidé par la chronologie des faits que par les associations libres, le carnet multiplie les digressions passionnantes sur les rituels sacrés (autour des chrysanthèmes par exemple), sur la géographie (comme Asakusa, l’ancien quartier des parias) ou sur les moeurs sexuelles (avec une évocation de la vie d’Abe Sada qui servit de modèle au personnage féminin de L’Empire des sens). Amoureux mais pas aveugle, Igort explore les bons et les moins bons côtés du Japon. Et s’il tait les massacres en Chine de l’armée impériale, il se penche en revanche sur le culte de la puissance qui infuse jusqu’aux films pour enfants de l’entre-deux-guerres.

Amateur de préceptes samouraï comme de séries B, l’auteur se console de voir disparaître les maisons en papier de riz -et avec elles une certaine tradition esthétique incarnée jusqu’au bout du pinceau par Hokusai- devant les films d’animation et les mangas de maîtres comme Takahata (Le Tombeau des lucioles) ou Mizuki, qui perpétuent grâce à leurs univers fantastiques singuliers l’idée d’un monde invisible. Pour mettre cet herbier émotionnel en musique, l’Italien ne lésine pas sur l’arsenal technique: aquarelles, dessins, noir et blanc, couleurs délavées, photos, reproductions… Tout y passe. Un véritable autel graphique ployant sous les offrandes.

Rétrospectivement, Igort se dit qu’on ne peut jamais attraper ses rêves. Ses Cahiers charrient pourtant une mélancolie éthérée qui pourrait passer pour typiquement japonaise. S’il n’a pas percé le mystère il l’a peut-être assimilé malgré lui. Pas si étonnant pour quelqu’un qui affirme que « dans une vie antérieure, j’ai été japonais« …

LAURENT RAPHAËL

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