DANS ANONYMOUS, ROLAND EMMERICH (GODZILLA, 2012) CONTESTE L’IDENTITÉ DU PLUS GRAND DRAMATURGE DE LA CULTURE ANGLO-SAXONNE. PROMENADE SUR LE TOURNAGE ET LES PAS DE WILLIAM SHAKESPEARE.

Berlin. Babelsberg. Avril 2010. C’est dans le plus vieux studio de cinéma du monde, là où Fritz Lang a tourné Metropolis et von Sternberg L’Ange bleu, que Roland Emmerich trime sur Anonymous. Ce film à controverse qui prétend que Shakespeare n’était pas vraiment Shakespeare est aussi son 1er long métrage en Allemagne depuis qu’il a quitté le pays il y a 20 ans pour les collines ensoleillées d’Hollywood.  » J’avais toujours voulu revenir tourner chez moi, glisse le quinquagénaire né à Stuttgart. Le choix de Berlin est évidemment une question financière. Mais c’est aussi quelque part un retour aux sources. J’ai toujours eu un faible pour cet endroit où tant de grands réalisateurs ont tourné. » Lang et von Sternberg donc. Mais aussi Murnau, Hitchcock, Polanski, Tarantino…

Anonymous se déroule à Londres et raconte l’histoire d’Edward De Vere. Selon certaines théories, le 17e comte d’Oxford n’est autre que le plus grand dramaturge anglais de l’Histoire. Un écrivain fantôme qui aurait eu pour homme de paille William Shakespeare.

Le choix de Berlin peut sembler totalement farfelu. Mais Emmerich a décidé de lancer la production d’ Anonymous alors qu’il travaillait sur 2012, quand il a réalisé que les avancées en matière d’effets visuels lui permettraient de recréer l’Angleterre élisabéthaine à relativement peu de frais.

On a beau se promener dans quelques boueuses rues londoniennes reconstituées et pénétrer ce qui sert de répliques aux Théâtres de la rose et du globe, toutes 2 créées par le chef décorateur Sebastian Krawinkel ( Inglorious Basterds), Emmerich a misé sur les nouvelles technologies. Pour les plans larges lui permettant de montrer le Londres de l’époque, le réalisateur a d’abord pensé faire construire une gigantesque maquette de la capitale mais les progrès effectués en matière d’effets spéciaux ces dernières années étaient tels que les images de synthèse lui semblaient la meilleure alternative. Outre les scènes aériennes de la ville, quelques décors clés du film comme le palais de Whitehall, la Tour de Londres et le London Bridge, ont ainsi entièrement été conçus par ordinateur. Et ce avec les techniciens de 2012 qui, emballés par le projet, ont accepté de revoir leurs salaires à la baisse.

 » Quand les gens verront ce film, ils ne pourront jamais imaginer ce qu’il a coûté », prédisait Emmerich à Berlin. Anonymous a été fait pour 30 millions d’euros. Un budget 7 à 8 fois inférieur au précédent. Celui de 2012, son film apocalyptique basé sur des prophéties mayas. Beaucoup s’étonnent que ces 2 projets soient l’£uvre d’un seul et même homme. Certains évoquent son irrépressible besoin de reconnaissance…

 » On me parle toujours de cinéma catastrophe (Emmerich a aussi mis en scène Le Jour d’après, ndlr). J’en suis fier. Et je suis fier d’avoir été un des premiers à crier au loup. Mais j’ai commencé avec de la science-fiction ( Universal Soldier, Independance Day, Godzilla…, ndlr). Je suis juste un réalisateur. Au sens large du terme. D’ailleurs, l’argent que ces blockbusters m’ont rapporté, je l’utilise pour pouvoir tourner des films comme Anonymous .Il est difficile de raconter pareilles histoires à Hollywood. Il faut donc trouver des astuces. » Pour en détenir le contrôle et ne pas laisser le final cut aux mains des studios, Emmerich a entièrement financé son film. Ce qui explique notamment qu’on n’y voie pas d’Américains jouer les Anglais.

 » Dès que j’ai lu le scénario, il y a une dizaine d’années, j’ai su que je tenais à raconter cette histoire. Ce long métrage parle de Shakespeare, d’une £uvre qu’il n’a, j’en suis convaincu, pas écrite, mais aussi de la succession d’Elisabeth. Qui va devenir roi? C’est la question que tout le monde se posait à l’époque. Et un élément central de ce film. Un film sur l’art et la politique dans lequel je tire le portrait d’une société alien et défend l’idée que les mots sont plus forts que l’épée. »

 » Quand j’étais jeune, j’étais subjuguée par son £uvre. Tous ces amours, ces malheurs, clôt la reine Elisabeth Vanessa Redgrave. Shakespeare, pour moi, c’est beaucoup de questions. Et des questions, quand tu es auteur, réalisateur, interprète et spectateur, tu veux t’en poser. »

TEXTE JULIEN BROQUET, À BERLIN

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