Avec le remake de Frankenweenie, court métrage devenu long, le réalisateur américain signe son film le plus personnel, trouvant dans l’animation image par image un médium à la mesure d’un imaginaire branché sur ses souvenirs d’enfance…

Tim Burton s’attelant à un remake de son Frankenweenie, il n’en fallait pas plus pour affoler la planète cinéma. Si chaque nouveau film du réalisateur de Ed Wood constitue un événement, celui-là promettait d’avoir une saveur toute particulière, en effet, l’auteur y remontant aux sources mêmes de son art -un court métrage tourné en 1984, et l’histoire, éminemment personnelle, d’un gamin solitaire tentant de ramener à la vie son chien adoré, en une déclinaison poétique et sensible de Frankenstein. Condamné par un classement assassin (PG pour parental guidance), le film original, qui devait accompagner Pinocchio lors de sa nouvelle sortie en salles, sera mis au placard par Disney, tout en bénéficiant, avec le temps, d’une reconnaissance culte. Ironie de l’histoire, c’est ce même studio qui en sort aujourd’hui la version longue, sans pour autant que Tim Burton ne veuille entendre parler de douce revanche: « C’était une société différente, à une époque différente, beaucoup de choses y ont changé au fil des ans », assure-t-il, dans un large sourire, alors qu’on le retrouve, pareil à lui-même, dans un palace londonien, vêtu de noir de pied en cap, et jusqu’aux montures de ses larges lunettes que surmonte sa chevelure ébouriffée.

Le bon timing

Si Burton avait toujours caressé l’espoir de faire un long métrage animé de Frankenweenie, le projet n’a commencé à prendre forme qu’au milieu des années 2000. Producteur associé à quelques-uns des plus grands succès Disney, comme Beauty and the Beast et The Lion King, Don Hahn en soumet alors l’idée à Burton: « Nous étions allés voir une production de Mary Poppins dans le West End, après quoi nous avons commencé à discuter de divers sujets d’histoires, se rappelle-t-il . Frankenweenie a immédiatement titillé son intérêt: il s’agissait de l’une de ses histoires originales, autobiographique jusqu’à un certain point, et un laps de temps suffisant s’était écoulé. Tim n’était plus un « outcast » dans un studio qui ne savait pas quoi faire de lui, il avait une carrière qui en faisait non seulement l’un des plus grands cinéastes, mais aussi l’un des plus grands artistes de son temps. Le projet avait du sens, et nous avons commencé à le développer. C’était avant tout une question de timing. »

Parler, à propos de Frankenweenie, du film le plus personnel de son auteur n’est pas qu’une formule de circonstance. La relation entre le jeune Victor et Sparky, son bull terrier, fait ainsi écho à celle qu’avait Tim Burton enfant avec son chien Pepe: « Tout est parti de là. Si vous avez jamais eu un animal domestique, vous savez qu’il y a à la clé une sorte d’amour inconditionnel, raconte le réalisateur, le regard pétillant . C’est quelque chose de très fort, une première vraie relation qui constitue aussi généralement votre première expérience de la mort, à moins que vous n’ayez opté pour une tortue qui vivra jusqu’à 125 ans. Le film découle donc de ce sentiment, et aussi de mon amour des films de monstres, et de Frankenstein en particulier. » On ne se refait pas, c’est bien connu. Le passage du film au format long a d’ailleurs accentué son ancrage intime: « J’ai relié chaque élément à un souvenir personnel: tout ce qui apparaît dans le film, décors comme personnages, est passé par le filtre de ma mémoire -une expérience vraiment agréable. « 

A côté de son reformatage, et des développements narratifs passablement allumés auxquels il a donné lieu, le film a connu un changement plus fondamental encore, puisque le cinéaste a décidé d’abandonner les prises de vue réelles au profit de l’animation image par image. Cette technique, il s’y était déjà essayé par le passé, de The Nightmare Before Christmas au magnifique Corpse Bride notamment , et on serait enclin à l’intégrer à son ADN cinéphile: « Tout a débuté en regardant les films de Ray Harryhausen (artiste dont les effets spéciaux illuminent diverses pépites, au rang desquelles The 7th Voyage of Sinbad, ou Jason & The Argonauts, ndlr): son travail était d’une telle beauté qu’il a inspiré un nombre considérable de gens. J’apprécie le côté tactile de l’animation image par image, et le fait qu’elle se fasse à la main. Cela permet d’obtenir une intimité que l’on n’a pas avec d’autres formes. Dans ce cas particulier, j’ai aussi eu le sentiment que le médium et le matériel se rencontreraient parfaitement: la technique consistant à donner vie à des objets inanimés convenait idéalement à une histoire s’inspirant de Frankenstein. »

Une expérience plus pure

Conséquent, Burton a aussi opté pour le noir et blanc, manière d’inscrire un peu plus encore Frankenweenie dans la lignée des films d’horreur qu’il cite abondamment, mais aussi de souligner, avec l’appoint d’une 3D discrète, la finesse du travail des animateurs: « La 3D n’est pas appropriée pour tous les films, souligne le cinéaste on ne peut plus à propos, mais pour moi, l’animation image par image a aussi le mérite de montrer le travail de l’artiste, et j’ai eu le sentiment que la 3D permettrait de le restituer de façon plus précise. »

Le résultat est assurément bluffant, pour une £uvre à l’effronterie poétique et mélancolique à la fois. Invité à se risquer au jeu des comparaisons entre le film de 1984 et celui d’aujourd’hui, le réalisateur évoque une version « plus proche » des intentions qui l’animaient à la source: « Retourner aux dessins originaux, et choisir la stop motion plutôt que de s’escrimer à tourner en images réelles, a fait de ce film une expérience plus pure à mon sens, et peut-être cela a-t-il aussi renforcé l’aspect émotionnel de l’histoire. » Reste, nerf de la guerre d’un art qui est aussi un business, à déterminer le public cible d’un ovni s’écartant allègrement de toute tentative de formatage comme des canons généralement en vigueur chez Disney. Réflexion à laquelle Don Hahn oppose le poids de son expérience: « Chacun des films auxquels j’ai participé a suscité le même genre de questions: n’est-ce pas trop intense? N’est-ce pas trop violent? Est-ce que les enfants ne seront pas effrayés? Oui, ils le seront, mais n’est-ce pas cela aussi qui est formidable? Voyez les films de Walt Disney, pas ceux de la compagnie, mais les siens, Snow White, Bambi, Pinocchio, Fantasia: il n’avait pas peur d’explorer la face sombre, et de proposer une large gamme d’émotions, tout en donnant au public la certitude d’un happy end, comme dans Frankenweenie, d’ailleurs. La lumière est plus éclatante lorsqu’on s’est aventuré dans des endroits sombres. » Ce n’est certes pas Sparky qui démentira… l

Rencontre Jean-François Pluijgers à Londres

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content