Places de concerts: la fin du marché noir?

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Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Pire ennemi du marché noir et des spéculateurs du concert, TicketSwap a facilité et sécurisé la revente de billets tout en protégeant les acheteurs contre les tarifs abusifs. Finis plans foireux et flambées des prix?

L’affaire a fait pas mal de bruit en Flandre. Le 11 mars dernier, 77 fans du rappeur Post Malone ont été refoulés à l’entrée du Sportpaleis d’Anvers avec de faux tickets. De bonne foi, ils les avaient achetés (89 euros au lieu de 62 d’ailleurs) sur le site de revente en ligne Viagogo. La place de concert a toujours fait l’objet d’arnaques et de spéculations en tous genres. Et les plateformes de billetterie secondaire sont aujourd’hui le terrain de jeu privilégié des revendeurs professionnels. En Angleterre et aux États-Unis surtout, certains hackers utilisent depuis des années des logiciels automatisés pour mettre la main sur des dizaines de billets avant de les revendre à prix d’or sur ces sites. Certains même plusieurs fois… Au Royaume-Uni, GetMeIn et Seatwave viennent de fermer leurs portes. Mauvaise publicité. Ils étaient propriété du géant de la billetterie Ticketmaster…

Dans le temps, quand un concert affichait complet, fallait y aller au petit bonheur la chance. Arriver tôt, être prêt à casser sa tirelire. Puis stresser jusqu’au passage des contrôles et des barrières de sécurité. Aujourd’hui, le spectacle vivant (la musique en particulier) continue de faire tourner le business du marché noir mais des plateformes plus éthiques comme TicketSwap coupent l’herbe sous le pied des bandits du Web et des vendeurs à la sauvette. TicketSwap est un site internet qui permet aux particuliers d’acheter et de vendre leurs e-billets en toute sécurité. Les places, les acheteurs et les vendeurs sont contrôlés. La transaction se fait en quelques clics et les prix sont encadrés. Aux Pays-Bas, ils ne peuvent pas dépasser de plus de 20% le tarif initial. Tandis qu’en Belgique et en France, il est tout simplement interdit de se faire du bénéfice et de refourguer le billet à un prix supérieur à sa valeur. C’est la loi…

TicketSwap a été fondé en 2012 à Amsterdam par Ruud Kamphuis, Hans Ober et Frank Roor. « Hans, notre directeur général, avait acheté un ticket pour le festival Lowlands, retrace Anthony Hodge, responsable de la communication. C’était relativement cher. Il s’est dit que ce n’était pas une grande idée, qu’il allait devoir payer ses courses, son loyer. Et il a cherché comment revendre son billet. Marketplace et eBay ne lui semblaient pas assez sécurisés, que ce soit pour le vendeur ou pour l’acheteur. Tu pouvais te créer un profil en deux minutes, sans aucune vérification. Puis, un même ticket électronique au format PDF pouvait être vendu cinquante fois. Le seul qui rentrerait serait évidemment le premier à se présenter à la porte d’entrée. Il a donc eu l’idée de créer une meilleure plateforme. Spécifiquement pour les places de concerts et de festivals. Et il a embauché deux amis développeurs. »

À Amsterdam, ville surpeuplée et estudiantine, le bouche-à-oreille fait rapidement son oeuvre. Le dispositif rassure. Il se sert à l’époque de Facebook pour vérifier le profil des utilisateurs (1). Le développement de SecureSwap fait le reste… Le système est relativement simple. En partenariat avec certains organisateurs, le code-barres du ticket uploadé par le vendeur est annulé et remplacé par un nouveau code-barres pour l’acheteur. « Il a fallu négocier salle par salle. Aller frapper aux portes. Pendant un an, les trois initiateurs du projet ont démarché. Ils ont embauché une première employée pour les aider. Et tout a été très vite. Maintenant, on a un joli bâtiment dans le centre d’Amsterdam avec environ 70 employés. On a grandi de manière organique. Il n’y a jamais eu d’investisseur. Ce n’est pas une histoire traditionnelle de start-up. »

Matchs de foot, pièces de théâtre, avant-premières…

Les vendeurs sur TicketSwap, ce sont Monsieur et Madame Tout le Monde. Des gens qui sont tombés malades, ont un empêchement, n’ont plus envie de sortir ou ont tout simplement acheté un ticket de trop. Ils fixent le prix de vente. 5% de frais de service et 3% de frais de transaction. Le site fait des heureux parmi les amateurs de musique et les habitués des concerts. « TicketSwap, c’est la sécurité mais aussi surtout la flexibilité, se réjouit un utilisateur. Tu peux acheter un ticket longtemps à l’avance sans savoir si tu pourras assister à l’événement en te disant qu’au pire tu le revendras facilement. Mais tu peux aussi, si tu n’as pas le fric, attendre la dernière minute pour l’acheter et ce même quand l’événement risque d’afficher complet… Parfois tu peux faire de bonnes affaires. Les vendeurs bradent. Surtout dans les dernières heures avant le concert. L’application est un gros avantage pour être sur la balle. »

En Belgique, TicketSwap propose notamment des billets de seconde main pour le Botanique, l’AB, Forest, Flagey, le Sportpaleis, le Palais 12, la Madeleine, les Ateliers Claus… « Avant, nous avions notre propre plateforme mais elle n’était pas très sympa et pratique pour les utilisateurs, explique Anysa Grammenoudis, qui s’occupe du ticketing à l’Ancienne Belgique. Ça prend du temps, ça a un coût, ce n’est pas notre métier… On a donc décidé de faire appel à des professionnels. On a toujours une liste d’attente mais pour nous, TicketSwap est vraiment la solution idéale. On a les coordonnées et l’adresse mail du second acheteur. On peut même le prévenir si le concert est annulé ou reporté. »

Souvent, aux guichets, le personnel de la salle bruxelloise est confronté à des fans qui se sont fait gruger. « Viagogo et compagnie sont très bien référencés sur les moteurs de recherche, poursuit Anysa Grammenoudis. Des gens arrivent avec des tickets qu’ils ont payé 130 euros alors que nous les vendons à 25. Parfois pour des concerts qui n’affichent même pas complet. » Naïveté des consommateurs? « Ce sont souvent des parents qui achètent des places pour faire plaisir à leurs enfants. Ils n’ont pas l’habitude et ils n’ont aucune idée des prix. Si l’acquisition s’est faite avec Viagogo et une carte de crédit, on peut encore annuler le ticket et bloquer la transaction, une déclaration officielle de l’AB à l’appui. Le profit sur la revente étant interdit. »

La Belgique est le deuxième marché de TicketSwap après les Pays-Bas. Suivent la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Hongrie… L’AB a entamé son partenariat avec la boîte hollandaise au mois de décembre 2016. 3 455 commandes via TicketSwap en 2017. 19 660 commandes en 2018… Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Une précision s’impose toutefois: TicketSwap ne fonctionne qu’avec des tickets digitaux. « Jusqu’à l’an dernier, l’Allemagne avait une vraie tradition du ticket papier, reprend Anthony Hodge. À Berlin par exemple, tu as énormément de concerts mais le comportement et les habitudes culturelles, c’est de payer cash. Les utilisateurs n’aiment pas utiliser leur carte de banque. Et quand ils décident d’aller voir un concert, c’est souvent le soir même. Tu as cinq potes au resto un vendredi soir. Ils se décident, remballent tout, se prennent des bières pour la route et achètent leur ticket à la porte. Ça a donc été compliqué pour nous. Mais depuis l’an dernier, on voit que les choses changent. Le ticket de concert électronique modifie les mentalités et apprend aux Allemands que le digital est safe. C’est assez rigolo parce qu’on est voisins. Et chez nous, on prévoit tout longtemps à l’avance. Quand tu demandes à un ami hollandais s’il veut aller boire un verre, il te dira: « On peut se voir dans deux mois.  » C’est une question d’habitude, d’organisation, de gestion de son temps. »

TicketSwap est vraiment connu pour les concerts et les festivals mais il est aussi présent sur les événements sportifs, le théâtre, le classique et les avant-premières de cinéma… Ce dont le grand public à moins conscience. « Le marché est énorme. Et on fournit évidemment les mêmes garanties en termes de sécurité. Fin 2019, on va sans doute essayer d’établir de nouveaux partenariats aux États-Unis, en Australie, au Brésil… » Conjuguées à la volonté politique de combattre le marché noir, les plateformes éthiques ont de beaux jours devant elles…

(1) La confiance envers Facebook s’étant un peu étiolée avec le scandale Cambridge Analytica, TicketSwap permet de se connecter avec des adresses mail.

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