TIAGO RODRIGUES

"Il faut comprendre à quel point c'est révolutionnaire dans ce monde, en 2017, d'être tous ensemble dans une salle, réunis autour de gens qui parlent." © © FILIPE FERREIRA

DOUBLEMENT PRÉSENT CET ÉTÉ DANS LA PROGRAMMATION DU FESTIVAL D’AVIGNON, TIAGO RODRIGUES EST DE PASSAGE À BRUXELLES AVEC LA COMPAGNIE TG STAN. CELLE QUI, N’AYONS PAS PEUR DES MOTS, A CHANGÉ SA VIE.

C’était il y a 20 ans et il avait tout juste 20 ans. Tiago Rodrigues était étudiant en première année au Conservatoire de Lisbonne. En juin, plusieurs professeurs lui avaient conseillé de ne pas continuer le théâtre. « Alors, pour être sûr de mon choix, j’ai décidé de suivre plusieurs workshops pendant l’été« , se souvient-il. L’un de ces ateliers était mené par une compagnie anversoise: tg STAN. STAN pour Stop Thinking About Names, un collectif mené par Jolente De Keersmaeker (la soeur de la chorégraphe Anne Teresa), Sara De Roo, Damiaan De Schrijver et Frank Vercruyssen. « Ça a vraiment été une révélation, affirme Tiago Rodrigues. Avec leur manière de travailler collectivement, et cette idée que le comédien n’est pas nécessairement un agent obéissant, mais un artiste, un co-créateur, quelqu’un qui a la responsabilité, la liberté de prendre des décisions sur scène. »

Finalement, le jeune apprenti comédien décide de continuer le théâtre, mais il quitte presque aussitôt l’école: en 1998, STAN l’invite à participer à une création jouée en anglais, Point Blank, à partir de Platonov de Tchekhov. En 2017, après plusieurs collaborations, Tiago Rodrigues retrouve STAN pour une nouvelle création, avec la stature d’un homme de théâtre parcourant les plus grandes scènes d’Europe avec sa propre compagnie fondée en 2003 et en tant que directeur artistique du prestigieux Théâtre National Dona Maria II, à Lisbonne. Il en a fait du chemin, mais il garde une simplicité et surtout un enthousiasme débordant quand il parle de son travail, dans un français quasi parfait, juste teinté d’un délicieux accent. « C’est aussi à cause de STAN que j’ai appris le français, confie-t-il. Nous communiquions en anglais et ils m’ont demandé si je parlais français pour participer à une création à Toulouse. J’avais suivi un an de français à l’école, autrement dit presque rien, mais j’ai répondu: « Oui, ça va. » Aussitôt après, je me suis inscrit à l’Alliance française, j’ai bossé comme un fou pendant six mois et je suis arrivé au Théâtre de la Garonne avec un niveau acceptable… »

Révolutionnaire

Pour ce nouveau spectacle avec STAN, The Way She Dies, créé le 9 mars dernier à Lisbonne, Tiago Rodrigues est à nouveau parti d’un monument de la littérature. Après avoir transformé en duo chorégraphié Antoine et Cléopâtre de Shakespeare (présenté au festival d’Avignon en 2015) et avoir relu Madame Bovary à travers le procès intenté à Flaubert pour outrage à la morale, il s’est cette fois penché sur Anna Karénine de Tolstoï. « Mais il ne s’agit pas de livrer une version théâtrale du roman. Plus que de raconter l’histoire d’Anna Karénine, nous racontons l’histoire de l’influence du livre dans la vie de plusieurs de ses lecteurs, deux couples, un à Lisbonne et un à Anvers, à deux époques différentes. »

Si Tiago Rodrigues aborde le répertoire, ce n’est pas pour un exercice de conservation du patrimoine, mais afin d’approcher le pouvoir de la littérature. « Un pouvoir politique, mais aussi un pouvoir intime, presque spirituel. Je suis très intéressé par le fait de relire et de raconter pour la centième fois des histoires qui nous ont formés, non pour la pédagogie, mais parce qu’elles nous ouvrent des portes à des mystères que la façon dont on communique aujourd’hui ne peuvent pas ouvrir. C’est aussi, parfois, le rôle du théâtre de rendre présent ce qui semblait déjà mort. Pendant deux heures, Tchekhov, Molière ou Racine est là avec nous. On a très intensément besoin de ce pouvoir d’évocation aujourd’hui. Il faut comprendre à quel point c’est révolutionnaire dans ce monde, en 2017, d’être tous ensemble dans une salle, réunis autour de gens qui parlent. »

Pour Souffle, sa prochaine création au festival d’Avignon (lire aussi page 8) -où il est également présent en tant qu’auteur de Tristesse et joie dans la vie des girafes, le voyage à la Alice au pays des merveilles d’une petite fille à travers Lisbonne touchée par la crise-, ce représentant majeur du renouveau de la culture portugaise part non d’un texte mais d’une personne: Cristina, la souffleuse du Théâtre National Dona Maria II. « Venant d’une compagnie où nous étions trois, tous obligatoirement polyvalents, je suis arrivé il y a deux ans au Théâtre National où 90 personnes travaillent. J’ai réfléchi à toutes ces professions du théâtre, à cette spécialisation qui semble presque anachronique à notre époque. Il y a là une authenticité de la profession, un métier qu’on ne peut pas perdre. Mais Souffle ne sera pas un spectacle autobiographique sur Cristina. Je ne sais pas encore en fait. Je sais que je voudrais parler de cette vie invisible qu’il y a dans un théâtre et qui survivrait au bâtiment. » À une semaine du début des répétitions, Tiago Rodrigues n’a que deux pages couvertes d’idées. C’est avec Cristina et les comédiens que le reste se construira, collectivement. Rendez-vous à Avignon.

THE WAY SHE DIES, DU 20 AU 22/04 AU KAAITHEATER À BRUXELLES, WWW.KAAITHEATER.BE

SOUFFLE, DU 07 AU 16/07 AU CLOÎTRE DES CARMES, ET TRISTESSE ET JOIE DANS LA VIE DES GIRAFES, DU 14 AU 19/07 À LA CHAPELLE DES PÉNITENTS BLANCS, AU FESTIVAL D’AVIGNON, WWW.FESTIVAL-AVIGNON.COM

TEXTE Estelle Spoto

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