LE FESTIVAL ETONNANTS VOYAGEURS DÉFEND DEPUIS PLUS DE 20 ANS LE CONCEPT DE LITTÉRATURE-MONDE: 320 INVITÉS DE 43 PAYS ÉTAIENT PRÉSENTS POUR L’INCARNER AVEC LA BELGIQUE EN INVITÉ D’HONNEUR.

La littérature en français, ou francophone, aurait-elle plus à dire que la littérature française? Parcourir les allées, rencontres et expos qui ont émaillé la dernière édition du festival Etonnants Voyageurs, à Saint-Malo, à la fin du mois de mai, c’est répondre à la question sans une once d’hésitation. Ici, loin des foires belges et des salons parisiens, ce sont des auteurs du monde entier qui se croisent, se rencontrent, discutent, expliquent et « racontent le monde ». Le monde d’aujourd’hui, désormais globalisé, et qui ne résiste plus à la seule analyse nationale. Désormais, pour comprendre le monde, il faut en lire les écrivains, d’où qu’ils soient. Ce constat, l’écrivain et essayiste français Michel Le Bris le tire depuis 1990 et la première édition de ce festival alors sous-titré Quand les écrivains redécouvrent le monde. Le Mur de Berlin venait de tomber, l’URSS était en train de disparaître:  » Un nouveau monde était en train de naître, devant nous, sans plus de cartes ni de repères. Il appartenait de nouveau aux artistes, aux créateurs, aux écrivains de nous donner à voir, de nous en restituer la parole vive, explique le fondateur, toujours aux commandes du désormais Festival international du livre et du film. Et ce, sans considération de genres, roman, récit de voyage, BD, science-fiction, poésie, roman noir: le rendez-vous des petits enfants de Stevenson et de Conrad! »

Multiculturalisme littéraire

Au rendez-vous de cette année ont répondu présent plus de 300 artistes et écrivains, en provenance de 43 pays du monde. Et on y a effectivement dressé un portrait presque complet du nouveau monde qui est le nôtre, à travers d’innombrables livres évidemment, mais aussi des débats, des rencontres, des films, des expos, dans un programme gargantuesque, à la mesure de ses sujets principaux: l’Europe en crise et sa recherche d’une culture commune; l’émergence de l’Asie-Pacifique et de ses auteurs néo-zélandais, australiens, océaniens; le printemps arabe; la France plurielle; les révolutions urbaines… Autant de thèmes qui n’existaient pas il y a 20 ans mais qui s’imposent aujourd’hui et de manière globale, avec la mondialisation, le Net et la mise en réseau de la planète.

Ce souci d’ouverture, pourtant évident pour le lecteur contemporain qui ne compte plus les nationalités présentes dans sa bibliothèque, n’est pourtant jamais allé de soi, surtout en France. L’idée et le festival de Michel Le Bris se sont donc transformés en mouvement. Dès 1992, une douzaine d’écrivains signaient un manifeste, Pour une littérature voyageuse, dénonçant  » le nombrilisme hexagonal, le poids des idéologies ou des avant-gardes« . Manifeste remis au goût du jour en 2007, en Une du Monde, et cette fois signé par 44 écrivains du monde entier (Alain Mabanckou, Le Clézio, Amin Maalouf, Tahar Ben Jelloun, Erik Orsenna, Patrick Rambaud, Jean Rouaud, Abdourahman Waberi…) réunis autour  » du refus d’une littérature nombriliste, formaliste, qui n’aurait d’autre objet qu’elle-même« . Le festival Etonnants Voyageurs, fer de lance de ce  » mouvement pour une littérature qui dise le monde » , a depuis multiplié les initiatives pour faire connaître -et traduire!- les auteurs du monde entier. En 2010, Michel Le Bris était ainsi à Haïti pour une nouvelle escale d’Etonnants Voyageurs, après avoir monté des événements dans le Montana, en Irlande, en Bosnie ou au Mali. Le tremblement de terre en a décidé autrement, mais le festival haïtien a quand même vu le jour en février dernier, et reviendra en 2014.

World Alliance

Les Etonnants Voyageurs ont également rejoint la World Alliance, regroupement des plus importants festivals de littérature dans le monde, mus par cette même ambition d’ouverture. Saint-Malo a ainsi entamé une collaboration étroite avec les festivals de Pékin, New York, Edimbourg, Berlin, Toronto, Melbourne et Jaipur, en Inde, afin de soutenir et mettre en valeur le travail de ces écrivains-là. Les membres de la World Alliance ont ainsi pris l’engagement de faire circuler le plus possible et dans les meilleures conditions les auteurs, de s’informer régulièrement, tant sur les jeunes écrivains prometteurs susceptibles d’être invités quelle que soit leur langue que sur les £uvres traduites des langues nationales ou de langues étrangères. Les huit festivals pèseront de tout leur poids sur leurs autorités nationales pour participer à cet effort de traduction et de circulation des £uvres littéraires. Une alliance qui devrait par ailleurs s’ouvrir prochainement à des festivals d’Afrique, d’Amérique latine et du Moyen-Orient.

Retour à Saint-Malo: après 3 jours de festival, 300 rencontres, 100 films, 8 expos et 28 lieux disséminés dans la cité corsaire, plus de 60 000 visiteurs sont repartis convaincus. Ils ont pu croiser et y lire le Chilien Luis Sepulveda, l’Islandais Stefan Mani, le Franco-congolais Alain Mabanckou, l’Iranien Daryush Shayegan, l’Américain Donald Pollock, l’Australien Chris Womersley, l’Indien Sanjay Subrahmanyan… et une tripotée de Belges, venus en force en tant que premiers invités d’honneur du festival -désormais, pour s’affranchir un peu plus encore de la mainmise française, un pays francophone sera chaque année mis en avant. La Belgique ouvrait le bal. Comme quoi, l’ouverture au monde commence parfois par son plus proche voisin. l

TEXTE OLIVIER VAN VAERENBERGH, À SAINT-MALO

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