PHOTOGRAPHE MAJEUR À L’OUVRE COMPLEXE ET RICHE D’INCIDENCES, JEFF WALL SE DÉFINIT COMME UN « PEINTRE DE LA VIE MODERNE ». RENCONTRE AUTOUR DE THE CROOKED PATH AU BOZAR.

« Les tableaux photographiques de Jeff Wall ont longtemps été caractérisés par l’utilisation de caissons lumineux qui confèrent à ses grandes images un aspect cinématographique, de mise en scène de la réalité, véritable théâtre de la vie ordinaire rejoué par des acteurs ordinaires faisant référence à des modèles picturaux inspirés de l’Histoire de la peinture. Ces £uvres ont transformé l’idée que nous avions de la photographie en ouvrant les possibilités de ce médium pour en faire un espace de condensation où cette pratique, tel que l’artiste l’envisage, pourrait reprendre à son compte le programme d’une peinture de la vie moderne.  » C’est à travers ces quelques phrases très explicites que le commissaire de l’exposition Joël Benzakin résume le travail de Jeff Wall. Depuis les années 70, le Canadien n’a eu de cesse de redéfinir les paradigmes de la photographie, prenant un malin plaisir à ne jamais être là où on l’attend. C’est une nouvelle fois le cas pour The Crooked Path, exposition aux allures de rétrospective qui est -forcément- bien plus que cela. L’artiste a choisi d’y confronter une sélection pointue de ses photographies avec les £uvres d’autres grands artistes tels que Marcel Duchamp, Diane Arbus, Andreas Gurski, Carl Andre, Frank Stella ou Luc Tuymans. Il s’en explique.

Comment est né le projet de cette exposition?

L’idée m’a été suggérée par le commissaire de l’exposition, Joël Benzakin, et Hans De Wolf, le conseiller scientifique et éditeur du catalogue. Originellement, cela n’est pas venu de moi. Je pense qu’ils ont senti que le moment était venu dans la mesure où je suis dans le circuit depuis un bail et que j’ai traversé beaucoup de choses. Cela fait 40 ans que mon £uvre dialogue avec l’art en général, la matière est donc là. Je ne fais pas partie de ces artistes qui n’aiment pas évoquer leurs influences, au contraire. Après nous être mis d’accord sur le principe de l’exposition, il nous a fallu 2 ans pour en peaufiner les détails.

Quels critères ont été effectifs quant au choix des £uvres?

L’idée de base est la suivante: montrer le travail d’artistes qui, d’une façon ou d’une autre, ont eu une incidence sur moi. Ce qui a été difficile, c’est de n’en retenir que quelques-uns, mon panthéon est vaste. L’exposition a été conçue pour Bozar qui, comme tout lieu de culture, possède des limites spatiales. J’aurais pu facilement ajouter 10 ou 20 artistes supplémentaires mais il a fallu être réaliste. Après coup, je me rends compte que devoir opérer un choix, c’est-à-dire me limiter à ceux sans lesquels l’événement perdait son sens, a été fécond.

Quels est selon vous le face-à-face le plus emblématique de The Crooked Path?

Pour moi l’une des confrontations les plus significatives et les plus intéressantes est celle qui implique Marcel Duchamp. Tous les artistes contemporains doivent quelque chose à Duchamp. A la fin de mes études, je me suis intéressé tout particulièrement à son travail à l’occasion d’une rétrospective à Philadelphia en 1974. Dans la foulée, grâce à mon cursus, j’ai eu accès au Manuel d’instructions pour l’assemblage d’Etant donnés, un ouvrage formidable très artisanal qui a été une découverte fondatrice de mon travail, c’est flagrant pour The Destroyed Room. En un sens, je dialogue toujours avec cette £uvre, ne serait-ce que par l’idée d’une illusion fabriquée. Outre les résonances, je suis très content de pouvoir montrer au public ce manuel qui n’est habituellement jamais prêté.

On peut voir aussi de nombreuses images de photographes tels qu’Eugène Atget, Robert Frank ou Walker Evans… Cette présence des maîtres de la photographie documentaire, à l’opposé de votre travail, n’est-elle pas surprenante?

Ce sont des photographes auxquels j’ai toujours été extrêmement attentif. Chacune des images montrées m’a aidé à construire les miennes même si j’ai suivi une direction différente. Je ne vois pas la photographie conceptuelle comme une rupture mais plutôt comme une nouvelle dimension qui ne contredit en rien la photographie classique. Je pense qu’il est intéressant pour le public de comprendre cette dimension que l’on n’a pas toujours à l’esprit. l

RENCONTRE MICHEL VERLINDEN

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