Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

À COUTEAUX TIRÉS – SEPT ANS APRÈS LE SUCCÈS DE SILENT SHOUT, LE DUO ÉLECTRONIQUE SUÉDOIS A DONNÉ NAISSANCE À UN NOUVEAU MONSTRE. PAS SIMPLE À DOMPTER, MAIS CAPTIVANT.

« SHAKING THE HABITUAL »

DISTRIBUÉ PAR RABID/COOP. EN CONCERT LE 5/05, À L’AB (COMPLET); ET LE 17/08, AU PUKKELPOP, HASSELT.?

The Knife n’a jamais été du genre « commode ». Depuis 1999, le duo suédois formé par Karin Dreijer Andersson et son frère Olof s’acharne à n’en faire joyeusement qu’à sa tête. Avec pas mal de réussite jusqu’ici: si leur premier album a mis le temps pour trouver écho en dehors de leurs terres scandinaves, Deep Cuts (2003) et Silent Shout (2006) ont épaté. Pop électronique déviante, la musique de The Knife prône l’audace et l’art du contrepied avec un certain brio, mettant au point sa propre grammaire angoissée. Le duo s’est cependant toujours méfié du succès. Aussi rares sur scène qu’en interview (durant lesquelles ils ont l’habitude d’apparaître cachés derrière des masques vénitiens), Karin et Olof Dreijer font partie de ces artistes farouches qui « pratiquent » le music business en funambule.

OEil pour oeil

Avec ses contradictions du coup. Malgré ses vues anticapitalistes, The Knife n’a pas non plus bronché quand une marque de téléviseur a utilisé la reprise de Heartbeats par José Gonzales pour l’une de ses publicités, le duo empochant, imagine-t-on, un joli pactole… Soit. Pinaillages mis à part, il reste un geste artistique. Au final, le seul qui compte. Dans Shaking The Habitual, il est éblouissant.

En 2010, The Knife avait composé la musique d’un opéra expérimental (Tomorrow, In a Year). Cela a pu laisser des traces dans une musique électronique qui a décidé aujourd’hui de larguer définitivement les amarres. Un peu dingo, pas toujours simple à suivre, mais régulièrement passionnante. Précision tout de même: aussi intellectuelle que soit la démarche de The Knife, sa musique reste surtout viscérale. Rêche et pas facile à appréhender, mais pourtant captivante. Le (double) album commence ainsi avec A Tooth For an Eye: sur fond de gamelans et de rythmiques tribales, la voix chamanique de Karin Dreijer Andersonn est toujours ce drôle d’organe métallique et strident, reconnaissable entre tous. Suivent les neuf minutes de Full of Fire, morceau-épouvantail au discours féministe, qui vrille sous les dissonances industrielles, tout en citant… Salt N’Pepa (« Let’s talk about gender, baby/Let’s talk about you and me« ): on peut être frondeur et avoir de l’humour. Plus loin, avec ses flûtes enfantines, Without You My Life Would Be Boring a beau s’avérer plus directement accessible, il ne choisit toujours pas ligne droite; tandis que Wrap Your Arms Around Me sort lui la carte du mélodrame sans tomber dans le pathos.

Et puis il y a Old Dreams Waiting To Be Realised. Une longue plage ambient de près de 20 minutes, tenue par un bourdon lancinant, et qui situe bien les limites du disque: celles de sa prétention et du crédit qu’on est prêt à lui accorder. On n’est cependant pas obligé de coller aux extrêmes pour adhérer à un album qui a bien d’autres choses à offrir.

Car Shaking The Habitual, le bien nommé, est d’abord un vrai trip qui ne demande rien d’autre à l’auditeur que de se laisser aller. Quelques écoutes répétées aideront bien à domestiquer la bête. Mais plus encore, il s’agira simplement de ranger pendant un moment ses oeillères, et de profiter du spectacle. Une manière de rappeler que la pop n’est pas (seulement) une scie de 3’40, mais peut aussi parfois prendre les formes d’une expérience plus déstabilisante. L’aventure, c’est l’aventure.

LAURENT HOEBRECHTS

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