King Gizzard: « Je pense qu’il faudra du temps avant qu’on voie un vrai concert de rock »

"La pandémie a d'une certaine manière été bonne pour l'environnement, les oiseaux, les océans et la vie sauvage. Ma vision n'a pas changé. Elle est peut-être juste un peu plus nihiliste. Voilà où on en est en tant qu'espèce. Toujours en train de respirer."
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Avec L.W., King Gizzard and The Lizard Wizard clôt sa trilogie microtonale et fait groover ses guitares du côté de la Turquie et de l’Afrique du Nord. Discussion avec un touche-à-tout.

« Désolé pour le décor étrange. Il est 21h30 ici en Australie. C’est un peu sinistre. Il fait noir. Je suis assis dans ma voiture. J’ai l’impression que je vais me faire assassiner. » Stu Mackenzie va bien. Il se marre. La voiture est à l’arrêt. Il a du monde à la maison. Le leader de King Gizzard and the Lizard Wizard a la paternité plus euphorique que fatiguée. Deux albums, un enfant, un départ du groupe (le batteur et manager Eric Moore a décidé de ne plus s’occuper que de leur label: Flightless)… Stu a eu un confinement mouvementé. « Notre fille n’était encore qu’un embryon quand le virus est apparu. On ne savait pas où tout ça allait nous mener. On nous a demandé de ne pas voir de gens pendant un bout de temps. C’était un peu flippant. »

En Australie, les autorités n’ont pas lésiné sur les mesures sanitaires. « Surtout ici, à Melbourne. Tu ne pouvais pas sortir à plus de cinq kilomètres de chez toi quelles que soient les circonstances. Tu devais évidemment porter un masque tout le temps. Et tu ne pouvais côtoyer personne excepté les gens de ton propre foyer. C’est intéressant de voir comment chacun a approché l’affaire. En Europe, les pays s’entremêlent. Vous n’avez pas vraiment de frontières. Ça doit être si compliqué. Nous, on est une grande île. La population n’est pas très dense à part dans quelques villes très éloignées les unes des autres. Ici, le concept de lockdown est bien plus facile à appliquer. »

La vie sociale reprend en Australie et le prochain album du gang de Melbourne est presque fini.
La vie sociale reprend en Australie et le prochain album du gang de Melbourne est presque fini.

Mackenzie et ses sbires ont profité du confinement pour enregistrer et sortir deux disques. Deux volets d’un même triptyque. Deux marches d’un même podium. K.G. publié le 20 novembre dernier et L.W. (King Gizzard and the Lizard Wizard, vous avez suivi?) font dans la musique microtonale. Comprenez avec des micro-intervalles. « On voulait revenir à ce qu’on avait fait sur Flying Microtonal Banana. On ne savait pas où on allait. Ça faisait quatre ans globalement qu’on n’avait plus fait ce genre de musique. Mais on voulait un arc-en-ciel. Mettre tous les sons, tous les styles, tous les feelings, toutes les vibes qu’on pouvait. On ne fonctionne pas comme ça d’habitude. »

Il suffit de jeter une oreille à sa discographie pour réaliser. King Gizzard, qui sonnait jadis comme du Thee Oh Sees avec de la flûte, a plutôt tendance aux albums typés, aux exercices de style. « Mais cette fois, on a voulu de la diversité. Envoyer ce truc microtonal partout où on le voulait. On a commencé à écrire, à enregistrer, à faire de la musique tout simplement. Et il est devenu à un moment évident qu’on avait deux disques. On a terminé la première partie qui est devenue K.G. Et on arrive maintenant avec la seconde. La plupart sont des chansons qui avaient encore besoin d’amour. De temps en tout cas. Un peu d’incubation. »

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L.W. véhicule des effluves d’Orient, des senteurs d’Afrique du Nord. « Ça vient du réglage microtonal. Mais chaque fois qu’on fait un disque, il y a des choses qui se glissent dans les rythmes. Cavs (Michael Cavanagh), notre batteur, a écouté beaucoup Tony Allen et des musiques africaines. Ça a influencé son style sur l’album. Tu grandis, tu évolues, et parfois tu deviens d’étranges combinaisons. Moi aussi j’écoute pas mal d’afrobeat. Mais quand je fais de la musique, je ne me dis jamais que je veux visiter une partie du monde. Je pense que ce qu’on écoute vient se faufiler dans nos têtes et devient part de nos musicalités. Quand j’écris, je chante, joue ou écris, ces trucs trouvent le moyen de venir travailler ma musique. Ce que je veux dire, c’est que j’essaie d’être très ouvert en musique. De l’aimer. J’apprécie ce que les gens tentent de faire. Alors oui, on a écouté beaucoup de musiques africaines en faisant ce disque. Mais je déteste généraliser. Il y a dans L.W. beaucoup de musique et d’influences. Parfois évidentes, parfois discrètes. Parfois délibérées, parfois subconscientes. On fait de la world music accidentelle. »

On se demande comment Stu Mackenzie trouve le temps d’écouter autant de choses vu celui qu’il met à composer et à enregistrer. L.W. est le 17e disque en même pas dix ans du Roi Gésier et du Sorcier Lézard. « Généralement, j’écoute très peu de musique quand je bosse sur un album. J’ai besoin de calme, de nettoyer et de purifier l’air. Je m’investis trop dans l’écoute. Quand j’étais encore à l’école, je ne pouvais pas étudier avec de la musique. C’était tout bonnement impossible. J’étais bien trop absorbé. C’est trop stimulant. Je n’arrive pas à ne pas écouter. Quand il y a de la musique quelque part, je ne peux rien faire d’autre que l’écouter. Réfléchir à ce qui se passe, à ce qu’ils essaient de faire. C’en est dérangeant (Rires). C’est en moi. C’est l’une de mes irritantes tendances. » En attendant, L.W. est l’un des disques les plus groovy des Australiens. « Ce n’est pas de manière délibérée. Alors qu’on s’est souvent dit par le passé, genre pour Infest the Rats’ Nest: ça va être le disque le plus bruyant jamais fait. La chanson la plus lourde jamais enregistrée. »

King Gizzard:

« J’écoute Slayer et John Coltrane »

Quelques titres des deux disques ont germé avant la pandémie. « Des musiciens dans une même pièce faisant de la musique ensemble. Quelle nouveauté, hein? » Mais la plupart des morceaux de K.G. et L.W. sont nés, ont été écrits et enregistrés dans un isolement complet. « Jusqu’à un certain degré, ça nous a semblé naturel. Parce que quelques-uns d’entre nous -Lucas, Cook et moi- avons grandi avec les bedroom recordings. Avant King Gizzard, on enregistrait sur un ordinateur, sur un huit pistes ou que sais-je. J’ai commencé à comprendre le son dans ma chambre. Enfin, dans le garage de mes parents. C’est comme ça que j’ai appris à enregistrer, à écrire de la musique, à coller, à superposer. »

Alors quand les autorités leur ont interdit de se voir et ont enfermé la société dans des bulles familiales, les King Gizzard en sont retournés au bon vieux temps, à cette époque où ils faisaient de la musique chacun de leur côté. « On ne s’est pas vus pendant des mois. Cavs n’avait jamais appris comment enregistrer mais il a installé quelques micros dans sa maison. Je pense que ça a changé notre son. Pour le meilleur et pour le pire, ce disque est ce qu’il est à cause des circonstances dans lesquelles il a été fabriqué. Je suis fier de ce qu’on a réalisé. Ce n’est pas très inhabituel dans le monde moderne, mais ça l’est pour nous. S’envoyer des fichiers, des overdubs. Les chansons ont évolué de manière très 2020. Comme une amibe qui grossit. »

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Mackenzie a bien conscience de son statut de privilégié. « Ça aurait été plus compliqué pour nous il y a cinq ans, quand on essayait de jouer le plus possible et partout. Ici, on avait de toute façon besoin de faire un break. On fantasmait sur l’idée de ne pas tourner, de se focaliser sur la création de nouvelle musique. Être à la maison et pas sur la route. Passer du temps avec les amis et la famille. On voulait prendre six mois. Ça en fait douze. »

En Australie, la vie sociale reprend, les lieux de rencontre rouvrent. King Gizzard a d’ailleurs déjà donné quelques concerts. Avec des restrictions assez extrêmes. « Déjà, dans des endroits garantis sans aucun cas de Covid. Comprenez où aucun cas n’a été déclaré depuis au moins quatorze jours. Avec ce virus, la pire chose que tu puisses faire, c’est de réunir des gens. Or, je suis musicien. Je suis dans le business des grands rassemblements. Mon taf est de rassembler le plus de gens possible dans les plus petits espaces possible et même ensuite de les faire suer. C’est le pire que tu puisses imaginer: des gens collés les uns aux autres, qui peuvent sentir leurs souffles respectifs. Je pense qu’il faudra du temps avant qu’on voie un vrai concert de rock… »

Qu’à cela ne tienne, le rapport très éclectique qu’a King Gizzard à la musique semble en adéquation avec son époque, en correspondance avec l’ouverture d’oreilles et d’esprit des jeunes d’aujourd’hui. « Je suis né en 1990. J’ai toujours écouté la musique comme ça. Les gens nous demandent souvent: « Que vont en penser vos fans du garage rock ou ceux qui préfèrent votre côté jazzy? Ils vont se sentir ostracisés. » Je ne sais pas. J’écoute Slayer et John Coltrane. Les gens aiment juste la musique. Je me rends compte qu’on nous en parle de moins en moins. C’est peut-être que les habitudes ont changé. Le streaming digital donne accès à tout tout le temps. »

Mackenzie ne voit aucun aspect négatif à leur diversité. « Moi, j’essaie de rester inspiré et motivé. Parfois, certains disques ressemblent davantage à ce qu’on connaît de nous. Et c’est très bien aussi. J’écris toujours ce qui s’impose pour moi. J’aime me promener partout sur la carte. C’est ce qu’il y a de plus fun et excitant. J’imagine que certains auditeurs doivent être désorientés, confus ou même ennuyés par ce qu’on fait. Mais je ne suis même pas sûr. Je suis content de fonctionner comme ça en tout cas. » Le prochain album est presque fini. « Je suis très excité. C’est à nouveau différent. Sans doute l’un des disques les plus mélodieux qu’on ait enregistrés. »

L.W., distribué par Caroline. ***(*)

Un peu de tout

King Gizzard aime varier les plaisirs. Petite promenade dans la discographie du groupe australien stakhanoviste.

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GARAGE PSYCHE: « I’m in Your Mind Fuzz »

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Composé de quatre titres de dix minutes et dix secondes, Quarters tient du grand écart et de la feinte de corps. Les Australiens s’y frottent à l’acid rock et au jazz. Jazz auquel ils feront encore honneur avec Sketches of Brunswick East, enregistré en compagnie d’Alex Brettin, le seul et unique membre de Mild High Club.

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POP: « Paper Mâché Dream Balloon »

C’est encore aujourd’hui leur album le plus pop. Avec Paper Mâché Dream Balloon et sa pochette de hippie qui rappelle les vieilles maquettes de nos (grands-)parents, King Gizz signe un disque aux guitares acoustiques enregistré dans la ferme des parents Mackenzie. Tout beau, tout doux. Gentiment psychédélique et sans fuzz…

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MUSIQUE MICROTONALE: « Flying Microtonal Banana »

Le vent se lève. Déclenché par la tornade Rattlesnake, titre tourbillonnant et kraut de quasiment huit minutes, Flying Microtonal Banana ouvre l’année aux cinq albums de King Gizzard et sa trilogie consacrée à la musique microtonale. Les Australiens modifient leurs instruments, voyagent et prennent des couleurs orientales.

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Combat entre les forces de l’ombre et de la lumière, fusion de l’homme et des machines, mort de la planète… Les interrogations futuristes et les préoccupations écologiques de King Gizzard (Stu se rêvait jadis ingénieur environnemental) s’inscrivent avec Murder of the Universe dans un concept album en trois chapitres.

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THRASH METAL: « Infest the Rats’ Nest »

Après un disque de blues boogie pop (Fishing for Fishies), le gang de Melbourne devient plus féroce que jamais et montre les crocs sur Infest the Rats’ Nest. Un hommage au thrash metal des années 80 inspiré par Metallica, Slayer, Motörhead ou encore Exodus. Ce qu’il a fait de plus puissant, violent et lourd à ce jour.

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