C’EN EST FINI DU ALL TOMORROW’S PARTIES DANS LES CAMPS DE VACANCES ANGLAIS. LE FESTIVAL PAS COMME LES AUTRES A VÉCU UN ENTERREMENT RYTHMÉ PAR LOOP, GOAT ET TY SEGALL, DES PROJECTIONS ET DES AFTER UN PEU FOLLES. ON Y ÉTAIT.

Dimanche après-midi, des mecs fringués comme des princes, les traits tirés, le regard un peu triste et les dents qui baignent se promènent entre les appartements défraîchis du Pontin’s Holiday Camp. En ce 1er décembre, à Camber Sands, dans la campagne anglaise de bord de mer, à une petite heure de Douvres, c’est définitivement jour d’enterrement. Après treize ans, le All Tomorrow’s Parties a vécu. Ses organisateurs ont décidé de tirer le rideau.

Il y a toujours quelque chose d’étrange à voir un événement disparaître alors qu’il affiche tous les ans complet. Mais Barry Hogan et son équipe sont des vrais, des purs. Ils n’ont jamais voulu se plier à la moindre concession. Ils fonctionnent sans sponsoring. N’hésitent pas à faire venir expressément des groupes de l’autre bout du monde alors qu’ils ne sont pas en tournée (payant donc leurs billets d’avion). Et n’ont jamais essayé de maximiser leurs profits aux dépens des music lovers. Peu regardants par exemple sur la propension du public à entrer dans les salles avec sa propre picole…

Le All Tomorrow’s Parties, qui doit son nom à une chanson du Velvet Underground, est une réaction à la démesure des Reading, Glastonbury et autres mastodontes de l’été où le festivalier est traité comme du bétail. Trait comme une vache à lait. Le groupe écossais Belle and Sebastian a mis sur pied son précurseur, le Bowlie Weekender en 1999. « Je n’avais jamais été intéressé par les festivals traditionnels, expliquait récemment son leader Stuart Murdoch dans les colonnes du quotidien anglais The Guardian. Ils me laissaient un peu perplexe à vrai dire. Je ne pouvais pas comprendre pourquoi des gens voulaient passer trois jours dans un champ avec de la boue jusqu’aux genoux. Un beau jour, alors que nous faisions le tour de l’Angleterre et que nous traversions Nottingham pour trouver des endroits où jouer, j’ai repéré un jeune mec indie avec des lunettes cassées qui essayait de traverser la route. Je me suis dit que nous devrions donner à cette personne un endroit où aller. Je me suis demandé quelle chance avait ce garçon de se dégoter une petite amie un jour. Je veux dire, je trouve déjà ça assez difficile mais lui, il n’avait aucun espoir. On a dès lors cherché à rassembler des gens dans le même état d’esprit.  »

Et c’est ce qu’ils ont fait, déjà à Pontins, avec Neil, son manager, et Barry, son promoteur, qui l’année suivante lancerait le ATP. Pour parler belge, le ATP, c’est un peu le croisement entre le Sonic City et le Deep in the Woods qu’il a tous deux inspirés. L’affiche est programmée par un curateur et l’événement a lieu dans un village de vacances.

Certes Pontins, avec son look soviétique ou disons de motel américain, faut y réfléchir à deux fois avant d’y embarquer femme et enfants. A fortiori l’hiver. George Clooney et Matt Damon s’y sont récemment installés pendant le tournage de leur nouveau film: The Monuments Men. Mais l’eau de la piscine, couverte, est froide et la piaule, pour laquelle il faut acheter des coupons d’électricité ressemblant à des tickets de tram, relativement rudimentaire. Tous les habitués regrettent le camp de Minehead, plus luxueux, situé à une heure et demie de Bristol, où le ATP a déménagé pendant quelques années. En même temps, pour l’amateur de musique élevé à la Cathy cabine et à la tente Igloo, ce décor ressemble quelque part à un Four Seasons. Lits, douches, cuisinières, frigos, micro-ondes… Il y a même une télé. Une télé et surtout une chaîne programmée par le festival. L’image est plutôt dégueulasse. On tombe à trois reprises sur Le Voyage dans la lune de Méliès… Mais pourquoi pas?

Cinéma, quiz et karaoké…

Pour cette ultime édition intitulée « End of an Era », le line-up a été conjointement confectionné par ATP et par Loop. Groupe de noise rock psychédélique londonien, culte pour les uns, inconnu pour les autres, disparu de la circulation depuis le début des années 90.

Le All Tomorrow’s Parties a toujours joué la carte de l’intégrité artistique, de la radicalité et de l’intransigeance. A ses manettes ont défilé Tortoise, Portishead, les Melvins et Mike Patton, Pavement, Animal Collective et Deerhunter. Mais aussi Matt Groening, le créateur des Simpsons, les artistes visuels Jake et Dinos Chapman ou encore ce bon vieux Jim Jarmusch dont le pote et collaborateur, joueur de luth, Jozef van Wissem, récompensé à Cannes pour la BO d’Only Lovers Left Alive, figure cette année à l’affiche. Accolé à un pub et coupé en deux par un Luna Park comme on n’en voit qu’à la mer du Nord, le centre de divertissements est composé de deux salles dont la moquette en voit des vertes et des pas mûres. En bas: un petit « club » intimiste dont on vous refuse parfois (mais rarement) l’accès -« It’s full, dude« – et où New War, une signature du label ATP, ouvre les hostilités. En haut: un immense espace bas de plafond où pour 10 livres vous pouvez vous faire masser. Entre un set de Fuck Buttons et un impressionnant concert du Shellac de Steve Albini, un habitué de l’événement, les krautrockeurs chiliens de Föllakzoid tapent un grand coup lors de la soirée d’ouverture.

Le ATP, on vous l’a déjà dit, ce n’est pas que des concerts. C’est aussi un Bingo, un Karaoké, un rendez-vous où les festivaliers peuvent s’échanger des compilations qu’ils ont concoctées eux-mêmes avec amour, ou encore un Quiz où on va quand même, humour so british, jusqu’à vous demander combien sera facturé le bris d’une chaise dans votre piaule. Mieux vaut ne pas y penser… C’est aussi un cinéma qui diffuse Two-Lane Blacktop de Monte Hellman, Le Jour du fléau de Schlesinger ou encore le Badlands de Terrence Malick…

Il faut bien une petite promenade réparatrice sur la plage, plutôt sauvage, qui s’étend à deux minutes à pied du site, pour se retaper avant la journée du samedi. La musique délicate d’A Winged Victory For The Sullen, le psychédélisme de Tim Presley (alias White Fence), la claque Hookworms (notre découverte du festival) ou la déflagration Comets on Fire… Tous ont été programmés par Loop.

Un mec bourré s’amuse à toucher le nez des gens qu’il rencontre. Qu’ils soient en train de pisser ou d’assurer la sécurité. Un autre, qui n’a pas de bouchon de protection et n’a rien trouvé de mieux que de foutre des clopes dans ses oreilles parce que la musique va trop fort, se retrouve à la Croix-Rouge pour se faire retirer du tabac des tympans. Normal quoi. Quand à deux heures du matin, les concerts se terminent et le pub ferme, chacun tente comme il le peut de prolonger la fête. Collé serré façon night club dans un appartement transformé en boîte de nuit où les locataires ont été jusqu’à installer une rampe de spots. Ou demolition party, au milieu du jardin, où on se prend en photo dans une garde-robe.

Goat bless you…

Costards, cravates, noeuds papillons… La journée de dimanche, donc, ressemble à une after party de mariage. Michael Rother joue la musique de Neu! et Harmonia. « Merde, ce que ça peut ressembler à Jean-Michel Jarre parfois. » Là où ce diable de Ty Segall, toujours là où on ne l’attend pas, donne son concert assis et, accompagné d’un band, fait rocker ses morceaux à la guitare acoustique. N’en déplaise à Girls Against Boys, Mick Turner (Dirty Three) et autre Superchunk, la sensation, ce sont cependant comme prévu les Scandinaves de Goat. Parce que cette drôle de chèvre d’abord se fait très rare en concert (Primavera, gros festivals nordiques…), n’est jamais venue en Belgique, demande apparemment cher, très cher même pour un groupe de sa notoriété. Mais aussi et surtout parce que ses prestations s’apparentent à de grandes célébrations hédonistes. Entre la cérémonie vaudou, le carnaval de Venise et de Rio. Masqué, déguisé, emmené par deux chanteuses/danseuses, le collectif suédois mélange tout. Le rock, le kraut, le prog, l’afrobeat, la musique psychédélique. Funkadelic, Can, Led Zep, les Stones, Black Sabbath et Fela Kuti… Encore une occasion de vous conseiller l’achat de World Music. Petite merveille de disque sorti l’an dernier.

Tandis que Mogwai, son premier curateur, donne à l’étage le dernier concert de l’Histoire du festival, Jonathan Toubin, le seul DJ en activité à s’être fait écraser dans son lit par un taxi (le chauffeur avait été victime d’un choc diabétique), mixe au rez-de-chaussée. Doté d’une incroyable capacité à vous faire danser avec des morceaux de soul et de R&B dont vous n’avez jamais entendu parler.

En attendant, aussi particulière pouvait encore être l’atmosphère du ATP, aussi logique semble sa disparition. L’une de ses grandes idées était de briser les barrières entre les groupes et leurs fans. De réunir et brasser la communauté indie à une époque, il y a pratiquement quinze ans, où Internet n’avait pas encore vraiment amorcé le rapprochement. Les visiteurs ont pieuté et festoyé dans des chalets à côté de Mercury Rev, assisté à des concerts surprises et sauvages de Lightning Bolt et Daniel Johnston… Mais à force, inéluctable, le All Tomorrow’s Parties commençait à perdre une partie de sa fraîcheur et de sa diversité et il s’est courageusement sabordé avant d’avoir paumé son authenticité. Ne vous reste plus qu’à regarder, si ce n’est déjà fait, le documentaire All Tomorrow’s Parties sorti en 2009 par Warp Films et réalisé par Jonathan Caouette sur base de matériel vidéo filmé par les festivaliers. Respect.

WWW.ATPFESTIVAL.COM

TEXTE Julien Broquet, À Camber Sands

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