TRADUCTION D’UN BOUQUIN ÉCRIT EN 1979, J’ÉTAIS LE DEALER DES ROLLING STONES RACONTE L’HISTOIRE HALLUCINANTE, HALLUCINÉE MAIS VRAIE DE VRAIE DE TONY SANCHEZ. L’OCCASION DE S’INTERROGER SUR LA PLACE DES POURVOYEURS DE RÊVES PSYCHOTROPES DANS L’INDUSTRIE MUSICALE.

Le George Jung de Blow, le Frank White de King of New York et le Tony Montana de Scarface… Mais aussi les deux paumés glandouilleurs Jay et Silent Bob ( Clerks), Lance, le parano en peignoir de Pulp Fiction (rôle que Kurt Cobain se serait vu offrir) ou le Black à bagouzes Nino Brown dans New Jack City… A la ville comme à l’écran, le dealer est un incontournable de la vie hollywoodienne. Mais il n’a pas fait qu’offrir quelques-uns de ses plus grands personnages au cinéma. Il a de tout temps gravité dans les milieux de l’art et du show-business. Nourrissant d’une manière ou d’une autre leur imaginaire.

Les liens étroits entre dealers et musiciens sont vieux comme le blues (enfin, Berlioz était déjà accro aux opiacés). Jusqu’à la Première Guerre mondiale, l’héroïne, la cocaïne et l’opium sont en vente libre aux Etats-Unis et nombre de bluesmen bossent tôt ou tard dans ce qu’on appelle les « medicine shows ». Comme le raconte Waiting for the man, Histoire des drogues & de la pop music, ouvrage signé Harry Shapiro (éditions Camion Noir, 2008), ils partent sur les routes avec les vendeurs de potions magiques qu’ils aident à travers leurs petits spectacles, seuls divertissements de vies ennuyeuses, à faire avaler les pilules. Devenir musi- cien ambulant est pour eux l’une des seules alternatives aux champs. Plus tard, les stars de la country comme Hank Williams, Roy Acuff et Jimmy Rodgers exerceront eux aussi leurs talents lors de ces drôles de tournées…

Au début des années 20 aux Etats-Unis, la marijuana n’est pratiquement connue que des seuls musiciens. Les gangsters et la mafia, qui se mettent à blanchir et à investir l’argent du crime dans les commerces légaux, contrôlent les trois quarts des clubs de jazz et des cabarets. A New York, les boîtes de nuit accueillent tous les dealers de la ville. Tant et si bien qu’une liste interminable de jazzmen se retrouvent plus ou moins liés à l’héroïne dans les années 40 et 50. La drogue, c’est se libérer de la vie quotidienne. Oublier la fatigue, le stress, la dépression, tenter de vaincre le manque de confiance en soi et la panne d’inspiration. C’est tenir le coup, affirmer sa singularité, consolider son statut de hors-la-loi autoproclamé. C’est aussi oublier les problèmes liés à sa condition de Noir…

Pots de vin en came

Les réseaux de la vente de drogues dans l’industrie de la musique sont labyrinthiques. De tout temps, les zicos s’arrangent entre eux. S’approvisionnent à la sauvette dans la rue ou flirtent avec des petits dealers pour de faibles quantités de drogues et de fric. Le père du jazz liégeois, feu Jacques Pelzer, était pharmacien. Ami des plus grands, comme Chet Baker ou Bill Evans, il était réputé fournir ses potes musiciens en drogues et autres produits pharmaceutiques.

A sa grande époque, Steven Tyler d’Aerosmith a traversé les pires quartiers de New York avant de s’en aller, en quête de dope, apostropher un parfait inconnu et de se retrouver menacé d’un revolver. Iggy Pop a demandé un soir du fric au public pour pouvoir payer son dealer, qu’il se barre et le laisse terminer son concert. Tout le monde a des anecdotes à raconter sur le sujet.

La musique pop au sens large du terme et la consommation de drogues illégales grandissent ensemble. Le crime organisé s’étendant de plus en plus à l’industrie du divertissement. Si les clubs sont souvent des lieux d’approvisionnement, c’est que leurs propriétaires sont parfois de gros dealers eux-mêmes et qu’ils utilisent ce biais pour attirer les clients.

Les roadies, les organisateurs de concerts et les directeurs de tournée sont par ailleurs souvent des intermédiaires importants entre les dealers et leurs consommateurs. Leur réseau est même parfois la principale raison de leur engagement.  » Sur certaines tournées, j’avais l’impression de ne rien faire d’autre que de m’occuper de drogues, reconnaissait feu Scooter Herring, le tour manager des Allman Brothers balancé par son ami Gregg Allman contre une immunité judiciaire. Payer les équipes de tournées en nature n’était pas rare. En particulier avec de la cocaïne. Les drogues représentent plus qu’un simple avantage du métier, ce sont des véritables moyens de paiement. »

Les maisons de disques jouent évidemment aussi leur rôle dans le trafic. Et quand les détournements d’avion deviennent à la mode dans les années 70 et que la sécurité est renforcée, un grand label se retrouve bien embêté avec la plupart de son « team » promotion arrêté pour détention de cocaïne.

Les pots-de-vin en argent font aussi place aux pots de vin en came. Un scandale éclate d’ailleurs en 1972 avec des histoires de salons de drogues tenus par des équipes de promo et de passages sur les ondes contre des paquets de 20 dollars de marijuana. Un directeur de promotion se plaint même selon la légende de ne pouvoir les faire passer en notes de frais. Généralement, les emplettes sont mises sur la liste des dépenses sous des intitulés comme « extra-keyboards » ou « additional vocals ».

Stars fuckeuses et e-dealer

Le dealer dans le rock, c’est parfois le rockeur lui-même. Pete Doherty raconte avoir arrondi ses fins de mois en faisant un peu de commerce. Il affirme même avoir fourni les Strokes.  » Au début des années 2000, pour me faire un peu d’argent de poche, je dealais des drogues que je pouvais trouver à relativement bon marché. Je les planquais dans mon chapeau qui changeait de couleur en fonction des produits que j’avais à fourguer. Lors de leur première tournée, les Strokes ont rencontré un de mes amis. Il leur a dit que je pouvais leur trouver un petit quelque chose. Je leur ai vendu de la weed, de la coke, de l’acid. C’était juste quelques Américains qui voulaient prendre du bon temps à Londres. Ils m’avaient donné des tickets pour leur concert.  »

Le dealer, c’est aussi parfois la groupie, la star fuckeuse. Cathy Smith, célèbre pour avoir injecté la dose d’héroïne et de cocaïne qui a mis sous terre John Belushi, a longtemps fréquenté Levon Helm et son groupe The Band (quand elle est tombée enceinte, son enfant était surnommé « The Band Baby » étant donné la paternité douteuse).

Le dealer, méchant tentateur? Le consommateur, pauvre victime? Ce n’est pas vraiment comme ça que ça se passe dans le music business. Certes, les proxénètes et les vendeurs d’héroïne ont eu tôt fait de faner le flower power, d’assombrir le fameux Summer of love et de rendre craignos les rues de San Francisco. Et les fournisseurs de dope en ont depuis poussé plus d’un vers le cimetière.  » J’ai enterré mon mari, ma bassiste est morte et c’est la même vache diabolique qui leur a vendu de la drogue, déclarait Courtney Love en 1994. Elle habite entre la 15e et Madison. Elle ne vend que du « speedball » et uniquement aux musiciens qui jouent dans des groupes. Elle profite de leur côté dépressif et s’empare de leur talent, de leur motivation, de leur génie. »

Les dealers ont toutefois marqué de leur empreinte l’histoire de la musique. Beaucoup de rappeurs prétendent à tort ou à raison l’avoir été. Nombre de chansons leur sont consacrées. Certaines font même leur éloge… Ils ont aussi, surtout, à travers les substances qu’ils fourguaient, influencé le son et le contexte créatif de certains genres. Les amphétamines sont intimement liées au rock’n’roll, aux mouvements mods et garage, à la Northern soul et au punk. L’acide a clairement influencé le psychédélisme de la Côte ouest. Et il serait fou de s’imaginer que la lenteur somnolente du reggae n’a rien à voir avec la marijuana.

Avec l’apparition des « drogues numériques », fichiers sonores tout ce qu’il y a de plus licite, supposés reproduire les sensations de substances comme l’acide, la cocaïne, l’héroïne et le crack, est né un nouveau type de dealer… I-Doser.com propose un programme pour vous transformer en fournisseur auditif. Si vous devenez rabatteur pour le site, vous empochez 20 % de la transaction dès que quelqu’un achète sa dose par votre intermédiaire. Les temps changent…

TEXTE JULIEN BROQUET

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