DU PHÉNOMÈNE DEMAIN À L’OURS D’OR GLANÉ, IL Y A QUELQUES SEMAINES, PAR FUOCOAMMARE À BERLIN, LE CINÉMA DOCUMENTAIRE EST À LA FÊTE. DÉMONSTRATION AU FESTIVAL 2 VALENCIENNES QUI EN PROPOSAIT UN ÉCHANTILLON SIGNIFICATIF, À L’ÉCOUTE DES RUMEURS DU MONDE.

Un documentaire totalisant 135 000 spectateurs en Belgique, on n’en avait, à vrai dire, pas le souvenir. C’est pourtant la performance réalisée, en ce début d’année, par Demain, de Cyril Dion et Mélanie Laurent, un film pour lequel l’engouement ne semble pas, en 11e semaine, près de se démentir. On peut, en l’occurrence, parler de véritable phénomène: à titre de comparaison, Amy, d’Asif Kapadia, fort de ses quelque 44 000 entrées, avait déjà fait beaucoup mieux que répondre aux attentes, constat valant également pour The Salt of the Earth, de Wim Wenders et Juliano Salgado (40 000), la production documentaire naviguant généralement dans des eaux (beaucoup) plus modestes.

Mais s’il est exceptionnel dans son ampleur, le succès de Demain (auquel on pourrait ajouter l’Ours d’Or octroyé, il y a quelques semaines à Berlin, à Fuocoammare, de Gianfranco Rosi)traduit aussi une tendance de fond, résultant en une présence toujours plus grande du cinéma documentaire sur les écrans. Au point qu’il ne se passe pratiquement plus une semaine sans qu’un doc ne sorte en salle(s), ne serait-ce que pour une poignée de séances. Signe des temps, encore, Dalton Distribution, une société se consacrant exclusivement aux documentaires, est venue s’ajouter à la liste des distributeurs opérant en Belgique (on lui doit tout récemment les sorties de The Wolfpack et autre The Land of the Enlightened). Et des cinémas comme l’Aventure ou Flagey, à Bruxelles, leur consacrent désormais une part significative de leur grille -dont certains proposés directement par les producteurs des films, trop heureux de trouver là un public réceptif. Une opération « win-win », comme l’on dit: « Les documentaires inédits obtiennent une moyenne de fréquentation assez élevée, observe André Joassin, de la Cinematek, programmateur du Studio 5 de Flagey. Si l’on s’en tient aux résultats de l’année écoulée, ils arrivent en seconde place, après le cycle que nous avions consacré à Chantal Akerman. » Boosté par son économie légère, le documentaire répondrait aussi à une attente spécifique du public, en quête de sens, voire d’alternatives au discours économique dominant -et de pointer le succès de Une douce révolte, de Manuel Poutte, qui explorait, avant Demain, les micro-révolutions fleurissant un peu partout à l’échelle planétaire.

Résonance avec l’époque

Le documentaire à l’écoute de la rumeur du monde, le Festival 2 Valenciennes en a encore apporté la démonstration, il y a quelques jours de cela. Doublant sa compétition « Fictions » (qui a couronné Chala, une enfance cubaine, d’Ernesto Daranas) d’une autre, dévolue au cinéma du réel, la manifestation proposait, pour sa sixième édition, six longs métrages témoignant de différentes tendances de la production documentaire contemporaine, entre engagement, interrogations sociétales, et épopées humaines hors du commun, artistiques ou autres.

Sans surprise, le choix du jury, présidé par Daniel Leconte, le réalisateur de L’Humour à mort, s’est porté sur une oeuvre « en résonance avec l’époque ». A savoir, en l’occurrence No Land’s Song, du cinéaste iranien Ayat Najafi, un choix consensuel (le film avait également les faveurs du jury de la presse) mais pertinent. Le réalisateur y aborde en effet un sujet brûlant, puisqu’il évoque l’interdiction faite aux femmes iraniennes de chanter en public depuis la révolution de 1979. Un interdit qu’une compositrice (la soeur du réalisateur) va tenter de braver avec l’aide d’artistes françaises, en un geste d’opposition aussi fort qu’émouvant. En écho à celui-là, Davis Guggenheim retrace, dans He named me Malala, un autre combat au féminin, celui de Malala Yousafzai, Prix Nobel de la Paix en 2014, et symbole de la lutte des jeunes filles du Pakistan et d’ailleurs pour l’accès à l’éducation; une jeune femme dont il trace le portrait à la première personne, la mise en scène n’étant toutefois pas à la hauteur du propos.

Enfin, comme une lame de fond, il aura encore été question de la discrimination à l’encontre des femmes, mais de manière moins prévisible cette fois, dans Free to Run, de Pierre Morath, passionnant long métrage retraçant l’histoire de la course à pied des années 60 (la pratique était alors réservée aux hommes) à nos jours, des marges au phénomène de société, avec ce que cela suppose aussi comme compromis. La surprise définitive de la sélection s’avérant toutefois l’incroyable Jodorowsky’s Dune, de Frank Pavich, le réalisateur américain ayant eu le don de transformer le projet avorté du réalisateur d’El Topo et La Montagne sacrée en fantasme de cinéma -on vous en parle plus en détails par ailleurs…

TEXTE Jean-François Pluijgers, À Valenciennes

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