Suuns: « On n’aurait pas osé enregistrer un disque comme ça il y a dix ans »

Ben Shemie: "Je ne pense pas qu'on aurait pu enregistrer un disque comme celui-là il y a dix ans. Avec des trucs harmoniquement aussi complexes. On en aurait été capables mais on n'aurait pas osé." © WILL LEW
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Suuns assume ses ambitions et partage ses angoisses sur un album, The Witness, plus calme et électronique que d’accoutumée. Rencontre.

Rendez-vous à 14 heures chez Art et Thé. Le lien Google Maps renseigne un bar et restaurant à couscous situé à deux pas du Père Lachaise. Ben Shemie n’habite plus au Canada. Il a emménagé à Paris juste avant le début de la pandémie. « On ne peut pas dire que ce soit l’introduction la plus douce qui soit à la ville. J’ai souvent joué ici et j’y ai passé pas mal de temps. Ce n’est pas complètement nouveau mais c’est dur. La vie est chère et ce n’est pas facile de rencontrer du monde pendant un confinement. Après, je suis amoureux. C’est la principale raison de mon emménagement. J’avais passé toute ma vie à Montréal. J’y suis né, j’y ai grandi. C’était le moment de changer d’air. »

Shemie connaît pas mal de musiciens à Paname. Il parle de la DJette et productrice Chloé Thévenin (il a chanté sur un morceau de son troisième album), fréquente les Zombie Zombie et des mecs de la scène plus expérimentale comme Oiseaux-Tempête ou Mondkopf… Il a débarqué à Paris en janvier, a participé à une résidence à la Cité des Arts et s’est installé avec sa compagne d’origine croate qui travaille pour l’OCDE dans le domaine des droits de l’homme.

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Depuis deux ans, le chanteur de Suuns a fait pas mal de trucs en solitaire. Il a écrit des chansons, expérimenté différents types de machines, donné des concerts, sorti deux disques et un EP. C’est plus facile tout seul évidemment. A fortiori avec la pandémie. « J’ai tout enregistré à Montréal. J’y retournais régulièrement, notamment pour bosser avec le groupe dès qu’une petite fenêtre s’ouvrait. Participer à des festivals m’a aidé à payer les tickets d’avion. On avait déjà commencé à bosser sur le disque mais on ne s’est pas précipités. On n’avait pas envie de se dépêcher de terminer l’album pour finalement s’asseoir dessus pendant un an. »

Comme tout le monde, Shemie a réussi à s’occuper. Il a regardé des documentaires. Notamment The Vietnam War de Ken Burns. Il s’est refait des Cronenberg, dont le prophétique Videodrome. Et a écouté pas mal de jazz. À commencer par du Keith Jarrett. « Je prenais un standard, un morceau que j’aimais et je cherchais les différentes versions qu’il avait pu en proposer. » Il a aussi lu des bouquins de Ursula K. Le Guin. « C’est de la science-fiction assez soft. Du commentaire social, plutôt psychologique. » Et a consacré du temps à sa remise en forme. « J’ai toujours couru. Ce n’est pas nouveau. Pour moi, le jogging, c’est plus mental que physique. C’est comme de la méditation. J’étais super fit. Mais j’ai déjà tout reperdu. » C’est qu’il a pas mal cuisiné. Puis célébré l’arrivée d’un enfant. « Beaucoup de choses ont changé dans ma vie, dans le groupe. Ça a été une période de grand bouleversement partout et pour tout le monde… »

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Le claviériste Max Henry a quitté le navire en 2018. The Witness est le premier album de Suuns enregistré sans lui. « Ce groupe était né sur notre amitié et notre amour de la musique. C’est triste et dur. On a sculpté un truc pendant toutes ces années et devoir reconsidérer tout ça fait de la peine. Mais les choses changent et il faut les laisser changer. Si tu ne le fais pas, tu es foutu. Je me sens mieux maintenant. C’est toujours comme ça la vie. C’est dur de changer mais quand tu l’acceptes, c’est souvent mieux après. Max a voulu arrêter parce qu’il n’était plus heureux. Heureux avec les tournées. Heureux avec le fait d’être un musicien. Il est plus dans une vague académique. Il est retourné aux études. Dans un truc entre psychologie et nouvelles technologies. Il n’y a qu’une chose pire que de tourner dans un groupe dans lequel tu n’as pas envie de tourner: c’est d’être dans un groupe avec quelqu’un qui n’a plus envie d’y être. Et comme on est très honnêtes les uns avec les autres… »

Ouvre les yeux

Sur The Witness, Suuns ralentit le tempo, propose des compositions plus ambitieuses et introspectives. Il délaisse son côté kraut, soigne ses textures et vire plus électronique. « On a discuté de où on venait et de où on allait. Le temps passe vite, et tu ne réalises pas vraiment. Tu fermes les yeux et tu avances. Toutes les merdes qui arrivent sur le plan politique nous les ont ouverts. Partout les mêmes structures de pouvoir, partout les mêmes violences institutionnalisées. Avec Black Lives Matter et compagnie, tu ne peux plus te cacher et prétendre que tu ne sais pas. » La voix travaillée de Shemie et ses textes n’ont jamais autant pris le dessus sur la musique des Canadiens. « Tu connais les Cardiacs? Un groupe anglais complètement fou au prog rock très étrange des années 80. Ses paroles sont particulièrement intéressantes et poétiques. Elles m’ont inspiré. Même si ça sonne un peu Frank Zappa sous speed. J’ai utilisé de nouvelles techniques pour ma voix. Pas mal de machines différentes mélangées à mon timbre naturel. Mélodiquement, ça m’offre de nouvelles possibilités. Ça stimule mon écriture aussi. C’est la première fois que les textes me semblent aussi importants. »

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La majorité de l’album a été écrite avant le confinement. Tant les paroles que la musique. La chanson Witness Protection a été la petite graine qui a fait pousser le disque. « Aujourd’hui, nous sommes tous tout seuls. Tout seuls mais ensemble en ligne. On voit les mêmes images. On est témoins des mêmes scènes. Des trucs qui se passaient déjà il y a 15 ou 20 ans parfois sans qu’on le sache. Que ce soit politique ou pas. J’aime l’idée de Witness Protection. Elle a un double sens. On croule sous les informations et on a besoin d’être protégés. On voit tellement de choses qu’on finit par s’en foutre. J’ai peur parfois de perdre mon empathie. Tu as cette masse anonyme, tu assistes à des choses terribles, puis, tu passes à un autre truc et tu oublies. « Ah oui, je pense que j’ai vu ce film aussi. » Sauf que c’était pas du cinéma, c’était la vraie vie.« 

Suuns, The Witness, distribué par Joyful Noise/Konkurrent. ***(*)

Le 28/10 à l’Orangerie du Botanique, Bruxelles.

Suuns:
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