Téhéran Connection: « La toxicomanie a totalement changé de visage, elle est sortie de la clandestinité »

Un flic iranien face aux accros au crack.
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Avec La Loi de Téhéran, Saeed Roustayi signe un mano a mano virtuose et suffocant entre un inspecteur de police et un baron de la drogue dans un Iran sous crack. Entretien.

Arrivant enfin sur nos écrans deux ans après avoir été présenté à la Mostra de Venise, La Loi de Téhéran (lire notre critique) constitue à divers égards, pour l’observateur extérieur, un ovni dans la production iranienne. Signant là son deuxième long métrage après un Life and a Day resté inédit, Saeed Roustayi s’y empare d’un sujet méconnu, l’addiction au crack dans son pays. Et s’il n’est pas le premier réalisateur persan à donner dans la critique sociale -voir notamment les films de Jafar Panahi ou Asghar Farhadi, pour ne citer que deux exemples fameux-, il le fait, chose plus rare, en recourant aux instruments du cinéma de genre. Pour livrer un thriller proprement suffocant opposant un flic et un baron de la drogue sur arrière-plan de trafic surmultiplié et de corruption généralisée -un choix dicté, explique-t-il, par la nature même de l’histoire.

À l’origine de celle-ci, un constat: « La façon dont on consomme les drogues, en Iran mais aussi ailleurs dans le monde, a beaucoup changé. Auparavant, les gens recouraient plutôt à l’opium ou à l’héroïne, des substances de ce type, mais désormais, le crack est disponible, et de plus en plus de toxicomanes en font usage. Ça a totalement modifié le visage de la toxicomanie, qui est sortie de la clandestinité. » Avec pour résultat des ventes qui ont explosé et un nombre d’accros au crack estimé à quelque 6,5 millions en Iran, une situation que Roustayi embrasse d’un regard quasi documentaire: « C’était mon objectif principal dès le départ: approcher la réalité telle qu’elle était« , martèle-t-il. À cette fin, le réalisateur et ses deux acteurs principaux, les formidables Payman Maadi, dans le rôle du flic, et Navid Mohammadzadeh, dans celui du dealer, déjà réunis au générique de son premier opus, ont procédé par immersion. « La partie la plus difficile de mon travail réside dans l’écriture du scénario, poursuit-il. Celui-ci m’a pris plus d’un an. J’ai fait de nombreuses recherches sur le terrain. Je me suis notamment rendu dans des tribunaux, où j’ai amené Payman, afin qu’il n’ignore rien de la manière dont ces gens se comportent, parlent et même marchent. J’ai aussi passé quelques nuits en prison avec des criminels. La situation a beaucoup changé par rapport à l’époque de personnages du genre de Scarface: il s’agit désormais d’individus tout à fait ordinaires, ce qui nécessite des recherches plus approfondies. »

Téhéran Connection:

Parcours du combattant

Ce souci de vérité, on le retrouve dans la manière dont le film refuse le manichéisme simpliste, préférant investir les zones grises et laisser à chaque personnage sa part d’ambiguïté. Il ressort également de la distribution, Saeed Roustayi ayant choisi d’encadrer ses deux stars de non-professionnels: « Il ne s’agit pas de figurants mais de toxicomanes, nous n’avons d’ailleurs pas dû les maquiller, il y en avait des centaines pour certaines séquences. Travailler avec eux n’avait rien d’évident, comme vous pouvez l’imaginer: ce sont des toxicos, et il faut arriver à les canaliser et à les contrôler. Le simple fait de ne pas regarder la caméra relevait déjà de la gageure. Et ça a été plus difficile encore pour mes deux comédiens. » Ce qu’il a perdu en confort de tournage, La Loi de Téhéran l’a gagné en urgence, pour donner de la réalité iranienne, et de l’étendue du fléau, une vision que l’on serait enclin à qualifier de… stupéfiante. Roustayi ne cache d’ailleurs pas qu’obtenir un permis pour tourner un film sur un sujet aussi sensible a relevé du parcours du combattant: « Sept mois ont été nécessaires pour obtenir un permis de production. Nous avons dû négocier avec différentes autorités: la police iranienne, le pouvoir judiciaire et d’autres encore. À chaque fois, on nous demandait des changements ou de couper certaines choses, mais nous nous sommes battus pour faire le film que nous voulions. Après, six mois de pré-production ont été nécessaires pour construire les décors, parce que nous n’avons eu accès ni aux tribunaux, ni aux vraies prisons, il nous a fallu tout recréer. Le tournage s’est ensuite étendu sur cinq mois, après quoi le cauchemar s’est répété: une fois le film terminé, nous avons dû convaincre à nouveau les mêmes autorités pour obtenir un permis de projection. Au total, réaliser ce film aura pris deux ans. » Pour un résultat rien moins que saisissant.

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