Tectonique de plaque

Second album pour le DJ bourlingueur canadien Kaytranada. Au-delà des genres et du name-dropping des invitéS, la musique trace efficacement.

Quand tu n’as plus mis les pieds en boîte depuis que Wilfried Martens était Premier ministre, tu zappes logiquement les disques orientés dance-floor. D’autant que l’idée du DJ artiste créateur t’a toujours paru, dans 95% des cas, comme un fantasme inepte. Néanmoins un germe funky survit planqué dans ton ADN et de temps à autre, il remonte inopinément à la surface consciente: récemment, avec Stormzy, le sosie de Lukaku, dont tu as regardé 56 fois le clip Shut Up. À l’arrivée du second album de Kaytranada, Haïtien de Montréal né en 1992, quelque chose de pas réellement identifiable fait clic. C’est grave docteur? Non, c’est efficace, bio-organique, nourri de house et de r’n’b et d’abord dansant sans être complètement mimétique des sous-genres en cours. Autrement dit, après un premier album éclectique dans ses objectifs bigarrés, le second disque de Louis Kevin Celestin -Kaytranada- reprend l’autoroute de la tectonique des hanches. Armé d’un hédonisme un rien déviant, annoncé dès la pochette, celle d’un mec qui a des yeux avec un peu trop de pupilles pour la normalité ophtalmologique reconnue. Potentielle métaphore de la musique proposée, dira-t-on.

Tectonique de plaque

Kaytranada explique qu’il conçoit tout morceau en commençant par mettre à plat les drums. Sur le tapis rythmique choisi viennent ensuite la basse et le solde des instruments, synthés, pianos, éventuellement guitares acides (sur l’instru Scared to Death) et puis, la panoplie de voix. Face aux armées de disques dansants contemporains, Kay se sert dans l’infini champ actuel des interprètes nu-soul/r’n’b pour relever sa sauce numérique. Pharrell Williams fait un tour de chant sur Midsection, morceau batardisé entre un rêve de plage à Rio et une couille de Rick James passée au micro-ondes. C’est efficace, radiophonique et -thanks to Pharrell- ça louche vers un possible smash, mixant voix de tête et rapping smooth. En même temps, comme le montre l’autre guest fameuse du disque, l’anglaise Estelle sur Oh No, il n’est pas question de philosophie nietzschéenne, juste de hanches noctambules, transies de désirs stroboscopiques. La raison raisonnable d’aimer ce disque tient au gluant hypnotique des rythmiques, leur sophistication au-delà des conventions binaires, le fait de changer de braquet à l’intérieur du même morceau. Par exemple dans 10% chanté par Kali Uchis, Américano-colombienne qui incarne aussi la moyenne d’âge -entre 20 et 30 ans- et la qualité supérieure des interprètes. Que ce soit Charlotte Day Wilson, jeune Blanche de Toronto assumant une mélodie et un corpus vaguement eighties ( What You Need). Ou encore Durand Bernarr, vocaliste de l’Ohio issu du gospel, dans Freefall, épatant malgré de brèves bouffées d’auto-tuning . Le tout confirme la vision globale et enveloppante de Kaytranada sur un album de 17 titres davantage conçu comme un jouissif mix sans frontières que comme pur tiroir à singles.

Kaytranada

« Bubba »

Distribué par Sony Music.

7

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