Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

LE TEMPS D’UNE EXPOSITION, LE QUAI BRANLY FAIT ENTRER LE TATOUAGE AU MUSÉE. ET SE PENCHE SUR LES ORIGINES ET L’HISTOIRE D’UNE PRATIQUE QUI TRAVERSE TOUTES LES CULTURES.

Tatoueurs, tatoués

MUSÉE DU QUAI BRANLY, À 75 007 PARIS. JUSQU’AU 18/10.

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La démocratisation galopante du tatouage -on peut clairement parler de « mainstreamisation »- ne doit pas faire pour autant oublier ses origines marginales. Peut-être bien qu’on tient là un exemple emblématique du devenir spectacle du monde. Alors qu’aujourd’hui le tatouage est partout, jusque sur le bras de Justin Bieber, il est important de se rappeler qu’il s’agit avant tout d’un acte brut éminemment sociologique, voire anthropologique. Avant d’être vidé de son sens, le tattoo a revêtu des significations distinctes, quelque part entre l’appartenance et la résistance. A ce titre, il est passionnant d’examiner les marques sur les corps « bousillés » des macs et apaches du milieu parisien au début du XIXe siècle. Dans l’ouvrage Paris Gangster, paru aux éditions Parigramme, Claude Dubois fait l’inventaire de ces dessins corporels remarquables inscrits dans un vécu. Ainsi d’un tatouage tricéphale -une tête d’adolescent, une autre d’adulte et une troisième de légionnaire à képi-, une représentation nommée « coeur de voyou », qui voulait dire « J’ai cru, j’ai aimé, j’ai souffert ». On pense également aux trois points disposés en triangle à la jointure pouce et index droits. Ce signe souvent vu suggère de manière stylisée les trois lettres « MAV » pour « mort aux vaches ». Sans oublier, le fameux dessin de poignard entrant dans le cou à la hauteur d’une clavicule… et sortant de l’autre côté. Un tatouage de damné de la terre qui raconte la souffrance sociale infligée par la police et la « justice ». Certaines phrases aussi marquent. Ainsi de ce « On ne passe pas » gravé à même le bas des reins de certains taulards pour montrer leur hostilité à l’homosexualité. On le comprend, à cette époque, le tatouage n’avait pas de prétention esthétique, les réprouvés de la société entendaient davantage marquer les esprits que les regards.

Territoire méconnu

L’exposition du musée du Quai Branly a pour ambition d’explorer un territoire méconnu à travers plus de 300 oeuvres exposées sous forme de photographies, de bodysuits, mais également de « volumes », soit des prototypes reproduisant de manière hyperréaliste des parties de corps humain sur lesquels sont intervenus des tatoueurs réputés tels que le Suisse Filip Leu, le Polynésien Chimé ou le Japonais Horiyoshi III. Derrière l’hipsterisation du phénomène, les deux curateurs, Anne et Julien, les fondateurs de la revue Hey!, entendent montrer la partie immergée de l’iceberg et prouver la valeur d’un geste artistique. On apprécie tout particulièrement le propos historique, mais aussi culturel et géographique, qui explique comment le tatouage a été mis entre parenthèses après la Seconde Guerre mondiale, avant de resurgir dans les années 70, poussé dans le dos par la libération sexuelle. Par la suite, ce sont les différentes tribus urbaines qui s’en sont emparé -skaters, punks, gabber…-, ensuite, dans le désordre, les sportifs -on pense à Dennis Rodman, Ibrahimovic, Beckham…-, les rappeurs -Lil Wayne-, les acteurs -Duvauchelle-, jusqu’aux barbus qui dévalent les rues en fixie.

WWW.QUAIBRANLY.FR

MICHEL VERLINDEN

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