Le troisième long métrage de Diego Martinez Vignatti accompagne une chanteuse de tango au sortir d’une rupture douloureuse. Un voyage sensuel et passionné sur le fil de l’existence.

Installé à Bruxelles depuis une dizaine d’années, Diego Martinez Vignatti a gardé de son Argentine natale ce qui donne leur texture à ses films: une couleur, mais plus encore une âme, portée vers la nostalgie. Le tango en constitue l’une des expressions privilégiées, à la fois familière et farouche, venant donner sa tonalité, musicale et autre, à un cinéma adoptant encore l’exil, physique ou intime, pour toile de fond. Troisième long métrage du cinéaste, par ailleurs directeur photo sur les premiers films de Carlos Reygadas, La cantante de tango opère ainsi une sorte de synthèse des courants qui irriguaient ses £uvres précédentes: le documentaire Nosotros, réalisé en 2003, avec le tango en son c£ur, suivi, 4 ans plus tard, de La Marea, une fiction traçant le portrait d’une femme en deuil s’abîmant dans une insondable détresse -femme qu’incarnait déjà Eugenia Ramirez Miori, compagne et muse du réalisateur. La démonstration qu’en arithmétique cinématographique, un plus un peuvent parfois faire trois: « Cela se pourrait, sourit-il, alors qu’on le rencontre dans une maison ixelloise. C’est clair que l’on y retrouve les thèmes et une forme plutôt minimaliste, même si La Cantante de tango a plus de panache. Plutôt que de synthèse, je parlerais de pas en avant. Mais cela confirme que certaines choses m’intéressent toujours; peut-être cela signifie-t-il simplement que je suis toujours le même. »

La cantante de tango raconte l’histoire d’une jeune femme, chanteuse de tango, dont la carrière semble sur le point de décoller lorsqu’elle est frappée par le désamour soudain de son compagnon. S’ensuivent tâtonnements, vacillement et bientôt égarement -une matrice à laquelle le réalisateur songeait depuis un moment déjà. « Après La Marea , je voulais faire un autre portrait de femme, et explorer diverses choses: la conséquence de la fin d’un amour sur une femme un peu fragile, l’importance du choix se posant face à une douleur tellement immense -va-t-on essayer de se reconstruire ou non?-, et enfin, la solitude et l’exil, et en particulier l’exil amoureux, dont on ne parle guère. »

Le tango, possibilité infinie

Ce cheminement intime, le tango en est plus que l’accompagnement, une partie de la substance même, pour un projet qui est à la fois film et musique. Un choix découlant de raisons esthétiques objectives: « D’un point de vue cinématographique, le fait qu’elle chante sa propre vie, sa solitude et ses états d’âme, représente une économie fort séduisante au niveau de l’information. Avec une seule chanson, j’économise des tirades et des tirades de dialogues. » A quoi s’ajouteront les raisons du c£ur, tenant celles-là à la poésie et au vague à l’âme se dégageant d’une musique en accord parfait avec le sentiment de perte et d’exil. « Le tango est un art multiple, l’art de la musique d’abord, mais aussi tout ce qui l’entoure. C’est une possibilité infinie et une culture. Il y a, dans le tango, la nostalgie de quelque chose que l’on nous a arraché, sans que l’on sache très bien le définir, et c’est un trait commun à beaucoup d’Argentins, peut-être parce que nous sommes un pays d’immigrés. » Incidemment, on relèvera encore que, sensuel et cérébral à la fois, le tango épouse assez fidèlement les contours du cinéma de Vignatti, à moins bien sûr que ce ne soit l’inverse. « Je m’identifie assez avec cela, en effet. Je ne cherche ni à être populaire, ni à être élitiste, je m’occupe de réfléchir et de respecter mon intelligence et, plus encore, celle du spectateur. C’est peut-être mon côté intellectuel. Quant à mon côté sensuel, il réside dans le regard, la façon dont je filme la matière, qu’elle soit humaine ou non. » L’alchimie de ces différents éléments vaut au spectateur une £uvre singulière, au sein de laquelle il est bon de s’égarer, tant elle ménage des espaces de liberté, renvoyant à celui laissé à une « héroïne » invitée à se réinventer.

Soit encore un cinéma qui, à l’omnipotence de l’histoire, préfère l’expérience sensorielle, servie par une grande rigueur esthétique. « Quelle que soit la matière, je suis dans la recherche de l’économie formelle. J’essaye toujours de résoudre les situations avec le minimum de plans, le minimum de dialogues et la plus grande intimité possible, tout en restant fidèle à moi-même dans la recherche de la sensation cinématographique la plus pure possible. J’aimerais, dans l’absolu, que les gens ne retiennent pas l’histoire, ou une chanson en particulier, mais une sensation, une image. » En prise directe sur l’émotion. l

Rencontre Jean-François Pluijgers

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