sur la route

L'immensité aride des paysages argentins agit comme un révélateur dans La Fiancée du désert.

Les Argentines Cecilia Atán et Valeria Pivato inscrivent le réveil symbolique d’une quinqua solitaire dans la vaste étendue du désert, personnage à part entière d’un premier long métrage aux allures de western des sentiments.

« C’est en traversant le désert que l’on apprend à se connaître. La vérité est au bout du chemin. » Cecilia Atán et Valeria Pivato sont toutes les deux nées à Buenos Aires dans les années 70, mais ne se sont rencontrées qu’au début du siècle en travaillant sur des plateaux de cinéma, aux côtés de réalisateurs sud-américains comme Juan José Campanella (El Secreto de sus ojos) ou Pablo Trapero (Leonera). Parfaitement complémentaires, elles s’expriment d’une seule voix alors qu’on les retrouve au coeur du Palais des Festivals en toute fin d’effervescence cannoise 2017. Projeté la veille au soir dans la section Un Certain Regard, La Fiancée du désert est leur premier long métrage de fiction. « Ce filmest né de de notre envie commune de parler d’une femme un peu perdue, hors système, marquée par la perte, et qui dans la rigueur du désert va peu à peu se retrouver. »

Soit l’histoire de Teresa, 54 ans, qui, contrainte d’accepter une place loin de Buenos Aires, entame un long voyage la menant bientôt sur la route d’El Gringo, vendeur charismatique dont le camion a valeur de maison. Deux solitudes isolées dans l’immensité aride des paysages argentins via des plans extra-larges tournés en CinemaScope façon western du coeur. « Il nous importait beaucoup d’établir un véritable dialogue entre Teresa, à travers les yeux de qui tout le film est envisagé, et le désert. Ce dernier devait donc être appréhendé comme un personnage à part entière. Il est un déclencheur, l’élément transformateur, l’étincelle qui va conduire cette femme sur le chemin d’une renaissance. Parce qu’il est ici avant tout question de désir. »

Voyage intérieur

Renaître à soi-même. L’enjeu du film est simple, et son intérêt tient davantage au vivifiant souffle de liberté qui balaie les saisissants grands espaces argentins qu’à son motif, rabâché, du tandem que tout oppose en apparence. « Drame, western, romance, road-movie… La Fiancée du désert brasse à vrai dire beaucoup de genres différents. Il n’était pas question de se limiter à l’un d’entre eux, mais plutôt de les dépasser, avec aussi une légèreté, des touches de comédie qui affleurent à mesure que le récit évolue. Le plus important pour nous étant de tendre vers de plus en plus d’ouverture, notamment dans un final de tous les possibles, porteur d’espoir. »

sur la route

Devant la caméra du tandem Atán-Pivato, le cheminement physique se double ainsi d’un voyage plus intime, une quête de soi où à l’économie des plans répond un singulier souci du détail. Comme dans cette scène où Teresa se recoiffe brièvement dans le rétroviseur du camion d’El Gringo, signe fugace d’une lente métamorphose qui la voit retrouver goût à l’existence. L’envie d’avoir envie. « Nous n’aimons pas dire les choses littéralement, nous préférons procéder par allusions. C’est ainsi que nous concevons le cinéma en général: dans une relation d’égal à égal avec le spectateur, à qui il revient de composer son propre puzzle. »

Évoquant un tournage organique, en parfaite synergie avec leurs comédiens (la grande actrice et dramaturge chilienne Paulina García et l’immarcescible septuagénaire argentin Claudio Rissi), les deux réalisatrices se réclament encore du mythe fondateur de la Difunta Correa, personnage légendaire qui fait l’objet d’un culte digne d’une sainte en Argentine, et matérialisé sous la forme de petits sanctuaires en bord de route au pied desquels les camionneurs ont pris pour habitude de déposer des bouteilles d’eau. Au milieu du XIXe siècle, cette figure iconique de la maternité aurait entrepris de traverser le désert de San Juan avec son nourrisson. N’ayant bientôt plus rien à boire ni à manger, elle serait morte à l’ombre d’un arbre, son fils au sein. Mais ce dernier, retrouvé le lendemain, aurait réussi à survivre en continuant à téter. « Cette histoire nous parle de notre capacité à triompher de l’adversité. Par ailleurs, à une époque où tout semble vouloir nous dire que ce qui n’a pas été tenté durant notre jeunesse ne pourra jamais l’être plus tard, nous tenions également à réaffirmer la valeur du temps qui passe et l’importance de trouver sa place dans le vaste monde. »

À l’arrivée, si ce premier effort conjugué tend vers un très louable sentiment d’épure, il pèche aussi par les maladresses d’une narration déconstruite, et parfois confuse, où les traits caractéristiques de ses protagonistes auraient gagné à être moins appuyés. La Fiancée du désert n’est pas le grand film extatique qu’il aurait pu être. Mais il charrie dans son sillage de belles promesses de vie. Et de cinéma.

La Fiancée du désert. De Cecilia Atán et Valeria Pivato. Avec Paulina García, Claudio Rissi. 1 h 18. Sortie: 27/12.

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