Le Monde nous appartient consacre l’audace et le style d’un réalisateur créatif en diable. Une nouvelle voix s’ajoute au (beau) concert du cinéma made in Belgium.

Stephan Streker est un passionné. De boxe (il a consacré à ce sport un court métrage remarqué, Shadow Boxing), du football (ses commentaires éclairés sur une chaîne pour abonnés ont fait forte impression), et surtout d’un 7e art qu’il a d’abord fréquenté dans la peau du critique partageant ses enthousiasmes sur papier tout en ayant le bonheur d’approcher ses idoles, les deux principales ayant pour nom Mann (Michael) et De Palma (Brian). Nourri au meilleur cinéma américain, Streker a logiquement fait ses grands débuts dans le long métrage… à Hollywood. Pas en invité de quelque studio avide de talent européen, mais sur les traces d’un jeune Belge rêvant de gloire et se heurtant à la réalité sans perdre son enthousiasme naïf, touchant, intègre. Michael Goldberg, interprète de Michael Blanco, est le producteur et le complice de Stephan Streker. Il fut son allié précieux pour faire du Monde nous appartient une réalité. Et une réussite applaudie au Festival de Montréal avant de l’être à celui de Gand. Un drame intimiste (très très librement inspiré d’un fait divers, le meurtre du jeune Jo Van Holsbeeck) mené à la manière d’un thriller à suspense. Un rêve réalisé avec l’apport musical d’un Ozark Henry lui aussi au sommet de son art…

Comment est né le projet du Monde nous appartient?

J’ai voulu écrire un film centré sur deux personnages qu’unit un destin tragique. Ce qui m’intéressait, c’était d’être le plus près possible de ces deux gamins dont on apprend qu’ils sont liés par quelque chose de terrible puisque l’un des deux va mourir, et que l’autre sera responsable de cette mort absurde. Je voulais montrer les deux, le coupable et la victime, avec autant d’amour pour l’un que pour l’autre…

Un fait divers particulièrement choquant avait déclenché votre réflexion sur le sujet…

Oui. Je me suis du coup posé la question de la position de l’artiste par rapport au fait divers, et au risque du voyeurisme, la tentation qu’il y a à se rassurer en voyant quelque chose de particulièrement horrible qui ne nous appartient pas, qui nous renvoie toujours à notre propre impuissance. Un fait divers, c’est quelque chose de généralement très pénible et d’affreux mais vis-à-vis duquel on ne peut plus rien faire. C’est assez anxiogène. Mais je pense qu’un artiste peut poser un regard, un point de vue. Et je voulais le faire de la façon la plus cinématographique, la plus artistique possible.

Et sans poser de jugement?

Je pense que ce n’est pas à l’artiste de juger. Il n’a pas à se substituer au spectateur…

Revenons à cette ambition de la forme, du style, qui est si présente chez vous…

Pour moi, le plus beau, dans l’art, c’est quand l’émotion naît de la forme. Quand je me trouve face à L’Agneau mystique, moi qui ne suis pas du tout croyant, la combinaison du point de vue, de la lumière, du cadre, je trouve ça à tomber! Et quand je regarde un tableau de Vermeer, l’émotion me submerge car un être humain a été capable de porter un regard d’une infinie tendresse, et de l’inscrire dans un geste artistique avec une toile, ses mains, des pigments et un bout de bois avec des poils au bout! C’est sublime, et pourtant le sujet (une jeune femme devant une fenêtre, par exemple) n’est en rien porteur d’émotion par lui-même… Le cinéma, qui n’a rien à voir avec la peinture, peut aussi atteindre cette émotion. Tous les réalisateurs que j’adore, de Kubrick à Michael Mann en passant par James Gray et Paul Thomas Anderson, ajoutent à l’indispensable élément narratif (un film raconte une histoire) une forte dimension de style, qui élève leur art.

Quelles sont les qualités de Vincent Rottiers qui vous l’ont fait choisir pour le rôle de Pouga?

Vincent est instinctif, il est vrai. Et je pense qu’il serait inenvisageable pour lui de ne pas l’être! Vincent est absolument au premier degré, ce qui est la condition indispensable pour être un bon acteur. Les grands acteurs sont toujours au premier degré, que ce soit Pacino ou Jean Gabin. Ce qui me touche, chez Vincent, c’est qu’il prend des risques fous. J’ai essayé de créer autour de lui une bulle pour le protéger, car lui ne le fera jamais… Une clé majeure pour un cinéaste, c’est de donner de l’amour à ses comédiens!

Votre recherche formelle vous a-t-elle fait demander à vos interprètes, Vincent Rottiers en particulier, des choses un peu contraignantes?

Sans doute un peu, vu qu’on m’a vite donné le surnom de « président » sur le plateau (rire)!

Comment vous est venue l’idée d’appeler Ozark Henry à travailler avec vous sur le film?

D’abord, j’avais une immense admiration pour le musicien. Dès l’instant où j’ai commencé à écrire, j’ai eu la voix d’Ozark Henry en tête. C’est un artiste que j’ai découvert assez tôt et dont la sensibilité m’a parlé tout de suite. Très vite, j’ai su que dès que le scénario serait fini, Ozark serait l’un des premiers interlocuteurs, si pas le premier. Donc je l’ai contacté. Je suis allé le voir en lui montrant le scénario et en lui disant: « Voilà, ça c’est moi, c’est ce que je veux faire et je voudrais qu’on le fasse ensemble.  »

Comment s’est déroulée votre collaboration?

Ozark a été présent dès la fin de l’écriture, puis sur la préparation, le tournage, la post production. Son implication a pris des proportions que j’estime largement supérieures à celle d’un simple compositeur de musique de film. Il travaille énormément, il est d’une précision d’horloger, c’est un obsédé du détail. J’ai appris de lui que quelque chose ne peut être satisfaisant que quand c’est impeccable. Pas moins.

Cinéma et musique sont proches, selon vous?

Ce sont des arts très proches. On pourrait penser que la peinture a plus d’affinités avec le cinéma, mais non, et pour une raison simple: tout est affaire de temps, et le temps de la communication est l’affaire de l’artiste cinéaste ou musicien, c’est lui qui décide du temps que le public passera avec son oeuvre. Alors que le temps de la communication pour un peintre, c’est avant tout l’affaire du récepteur. Idem pour la sculpture, l’architecture et même la littérature. Ce n’est pas le cas en musique et au cinéma c’est donc au créateur de gérer ça. Ce sont des questions de rythme qui répondent à une musicalité. Le cinéma c’est de la musique, j’en suis certain. Même un film muet, c’est de la musique!

RENCONTRE LOUIS DANVERS

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