Zoom sur l’eSport mobile: « La nouvelle génération joue indifféremment sur PC et sur mobile »

À l'instar des compétitions de League of Legends, le championnat du monde de Summonners War, jeu sur mobile, se déroule désormais en public devant des centaines de fans. © DR
Michi-Hiro Tamaï Journaliste multimédia

Jusqu’ici relégué à une activité de seconde classe, le sport électronique sur smartphone gagne ses lettres de noblesse. Explications en direct de la finale mondiale de Summoners War.

« J’ai toujours aimé la compétition. Jeune, au basket, ça voulait dire blesser les autres joueurs. Puis j’ai grandi. Aujourd’hui, cette pression face à des champions mondiaux d’eSport et des millions de spectateurs est devenue un moyen de développer la meilleure version de moi-même« . Avec l’aplomb d’un athlète habitué aux médias, Thompson Hsu, dit Thompsin, tire volontiers des bilans de vie dans les coulisses de la très distinguée Maison de la Mutualité, à Paris. Ce prof de fitness de 33 ans ne laisse trahir aucun signe de stress à quelques heures de la finale du championnat du monde de Summoners War. Enjeu? 100.000 dollars pour le gagnant. Un rêve dans la poche… à portée de téléphone.

Snobé par les gamers il y a encore quelques années, le smartphone se hisse doucement comme une plateforme légitime dans le milieu du sport électronique. Arena of Valor, Clash Royale, Hearthstone… une vingtaine de titres déploient des tournois amateurs et pros accumulant des cash prizes de 30 millions de dollars cette année, soit cinq de plus qu’en 2018. Le nombre exact d’athlètes actifs dans l’esport mobile reste flou à ce jour. Mais Com2uS, l’éditeur coréen de Summoners War remplissait sans peine les 1.500 sièges de la Mutualité de Paris en octobre dernier.

Singulier sur son format, Summoners War l’est encore plus dans son gameplay. Son coeur réhabilite, contre toute attente, les jeux de rôle au tour par tour des années 80 et 90. Comme dans un Final Fantasy VII, le gamer y aligne donc une poignée de combattants offrant des actions offensives ou défensives, via de savants menus déroulants.

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« Face à l’action frénétique d’un Overwatch, Summoners War est nettement plus cérébral et moins basé sur les réflexes. Le jeu me fait traverser deux phases. La première, celle de la préparation, est très mentale. On y choisi une sélection de combattants selon le profil du sportif à affronter. La seconde partie est par contre orientée réflexe« , détaille Rosith, un des champions français en lice parmi les huit finalistes du jeu à Paris. « Pour grossir le trait, cela ressemble à un pierre-papier-ciseau en beaucoup plus complexe. Si votre adversaire sort une pierre, vous devez sortir une feuille. C’est ce que j’appelle des réflexes de l’esprit. »

Théâtre post-moderne

Chaque action des duels de joueurs sur scène soulève des vagues de clameurs du public de la Maison de la Mutualité. Japonais, coréen, italien, allemand, russe… des binômes de commentateurs en direct sur Twitch crépitent en sept langues et ne manquent pas de souligner que Thompsin a posé des photos de sa famille au pied de son estrade. Chacun son rituel. Sa ferveur, aussi. Huit heures avant le début des hostilités, une file se formait ainsi dès six heures du matin pour finalement encercler l’élégante église Saint-Nicolas du Chardonnet, non loin de là. Cette troisième édition du championnat de Summoners War reste loin des compétitions d’eSport comme League of Legends, qui dépassent souvent et sans peine les 10.000 entrées. Mais son cirque digital, bouclé cette année par la victoire du joueur chinois L’est, reste impressionnant.

Contrairement à certaines disciplines d’esport comme Counter Strike: Global Offensive ou League of Legends, Summoners War ne se pratique pas en équipes et ne draine donc pas de gaming house ni d’entraîneurs. On se débrouille donc seul pour évoluer dans son circuit compétitif. « Heureusement, se faire des amis dans le jeu et entrer dans une guilde est très simple. Ce genre de structures fonctionne un peu comme une famille. Elle regarde vos matchs et vous supporte pendant l’entraînement« , plaide Thompsin. « Cela n’a l’air de rien dit comme ça, mais j’ai grandi en ligne ces trois dernières années avec des gens que je n’ai jamais rencontrés. Quand on se voit pour la première fois, on a beaucoup de choses à se dire. Puis, il y a ces étranges coïncidences aussi. Ici à Paris, je viens d’affronter un ami de mon épouse. »

Les yeux dans le jeu

En avril dernier, Will Smith investissait 46 millions de dollars dans l’équipe sud-coréenne Gen.G. Ce genre de coups d’éclat n’est pas encore habituel dans l’eSport mobile. En février dernier, le Paris Saint-Germain y plaçait toutefois ses billes en montant une équipe Mobile Legends de haute volée en Indonésie, après avoir également investi dans Dota 2 et FIFA Online 4. D’aucuns jugent toutefois que capter l’attention du joueur dans un écosystème (iOS et Android) surchargé de distractions est nettement plus difficile que sur consoles de salon ou PC.

« Cette segmentation me dérange. La manière dont les jeunes consomment les médias aujourd’hui est différente d’hier. Summoners War peut certes se pratiquer en marge d’une autre activité, au travail par exemple. Mais on peut également y jouer de manière très concentrée« , indique David Mohr, en charge des opérations européennes de Com2uS. « Cette idée qu’un gamer mobile est moins attentif à ce qu’il fait qu’un joueur PC ou console est donc fausse. D’autant que ces derniers sont souvent distraits par les réseaux sociaux ou regardent du coin de l’oeil une vidéo YouTube sur un deuxième écran quand ils jouent… »

Présent dans 94 pays, Summoners War élargit en tout cas son univers pour se faire connaître et fidéliser ses joueurs. Son éditeur confiait ainsi l’adaptation de son univers en comics et en série animée à Skybound Entertainment, l’éditeur BD de The Walking Dead. Une opération séduction dans un écosystème sportif considérant encore que jouer sur mobile revient à voyager en seconde classe face au jeu vidéo PC.

« On peut clairement observer que quand un éditeur annonce l’adaptation smartphone d’un jeu exclusivement PC, la réception dans le public hardcore n’est pas géniale« , reconnaît David Mohr. « Mais j’ai l’impression que ce sont surtout des joueurs old school et des vieux journalistes de la presse spécialisée, dont la voix porte beaucoup, qui pensent ça. La nouvelle génération joue indifféremment sur PC et sur mobile. Vu qu’il enlève le besoin de matériel, le cloud gaming (jeu vidéo en streaming, NDLR) pourrait en outre effacer cette frontière à l’avenir… »

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