Mdou Moctar: le blues du désert renouvelé

Mdou Moctar: "Ici, en Afrique, les gens n'écoutent pas de disques. Ils consomment la musique avec leurs portables." © WH MOUSTAPHA
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Il a fait entrer l’autotune dans la musique touareg et tourné un remake berbère de Purple Rain. Mdou Moctar, le Jimi Hendrix du Sahara, chante en tamasheq les malheurs de l’Afrique… Entretien.

À côté des vinyles, picture disc, CD et autres formats numériques, Afrique Victime, le nouvel album de Mdou Moctar, sort dans une édition spéciale, limitée, originale et plutôt décalée. L’objet est déjà épuisé à l’heure d’écrire ces lignes. Le disque est vendu dans un téléphone portable, préchargé sur un bon vieux Nokia 6120. Un amusant clin d’oeil au début de sa carrière puisque le Touareg s’est fait connaître à travers le Sahel grâce au bouche-à-oreille Bluetooth, aux GSM et aux cartes mémoires. Il est là Mdou Moctar. Entre tradition et modernité. Blues du désert renouvelé, tradition autotunée, et peer to peer à pied.

Les Islamistes, pour qui toute forme de musique non coranique doit être prohibée, ont ciblé le mode de partage 2.0. Les voyageurs ont d’ailleurs tout un temps pris l’habitude d’enlever les cartes de leurs téléphones avant d’arriver aux checkpoints d’Al-Qaïda au Maghreb islamique. Rien ne prédestinait l’homme des sables à vivre de la musique. Mdou est né dans une famille très croyante au sein de laquelle elle n’était pas la bienvenue. « Ce n’était pas facile, explique-il par téléphone depuis les régions arides de son Niger natal. Et ce n’est pas qu’une histoire de religion. À l’époque, nous n’avions aucun équipement. Il nous était impossible de trouver ne serait-ce que des cordes. »

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Culture de la débrouille, artisanat, Do It Yourself… Mdou Moctar (35 ans cette année) a, gamin, fabriqué sa première guitare avec des bouts de bois et des freins de vélo. Mais sans Christopher Kirkley du label Sahel Sounds, le nomade n’aurait probablement jamais fait le tour du monde. En 2009, le digger américain parcourt le Sahara en quête de trésors sonores et de raretés mélomanes africaines quand il découvre la musique de Moctar sur un téléphone dans la rue au nord du Mali. Mais personne ne sait qui en est l’interprète. Après avoir retrouvé sa trace (vive les réseaux sociaux), il sort un de ses morceaux sur la première compilation Music from Saharan Cellphones et lance le tournage d’Akounak Tedalat Taha Tazoughai. Premier long métrage entièrement tourné en tamasheq, le film s’inspire du Purple Rain de Prince, raconte la vie de Mdou et l’univers concurrentiel des guitaristes locaux. Le musicien touareg y joue son propre rôle. Comme Prince à Minneapolis, il a dû faire face à un environnement féroce, à des conflits familiaux, à des épreuves amoureuses. « Christopher connaissait mon histoire. Il savait que mes débuts avaient été difficiles. Que j’étais parti pendant trois ans bosser en Libye sans emmener de guitare avec moi. Il trouvait que nos parcours étaient assez similaires. » S’il apprécie la curiosité du Love Symbol, adore sa manière de bouger et de se réinventer, Mdou est aussi fan d’Eddie Van Halen et de Jimi Hendrix. « Le premier truc que j’ai entendu de ce dernier, c’était Hey Joe. Et il y a vraiment des ressemblances avec la musique touareg. Sa manière de créer des vibrations avec des cordes de guitare me fait inévitablement penser à Tinariwen. »

Soupirs et sourires

Afrique Victime, qui a été fabriqué dans des studios, des loges, des appartements et des chambres d’hôtel, mélange guitares acoustiques et électriques et rend hommage à Abdallah ag Oumbadougou. Légende de la musique nigérienne et révolutionnaire décédé en janvier 2020. « Mes intentions quand je fais un disque, c’est que le monde entier l’écoute. » Mdou Moctar est un mec sûr de son talent et de sa foi. Son nouvel album parle d’amour, de jalousie, de nostalgie et de révolution. Il évoque les droits des femmes, l’évolution de l’Afrique. « Des thèmes qui concernent tout le continent. Pas seulement le Niger… La musique doit véhiculer ce genre de discours. Sans aucun doute. Elle ne sert à rien si elle ne transmet pas des messages importants à ceux qui l’écoutent. A fortiori quand une population n’a pas accès à l’information et ne sait guère ce qui se passe dans son propre entourage. Si on n’utilise pas nos chansons à ces fins, à quoi servent-elles? On doit montrer notre culture, notre amour. Notre façon de voir les choses est dans nos créations. »

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Sur la pochette du disque, une femme pleure. Elle pleure une Afrique en crise. Les crimes qui rythment le quotidien. Afrique Victime est un message adressé à tous les pays qui détiennent l’argent et le pouvoir. N’hésitent pas à tuer les leaders africains qui veulent responsabiliser le peuple et mener des révolutions… Mdou reproche avec virulence l’interventionnisme occidental. « Je suis africain. Tout ce qui se passe en Afrique me concerne. Puis, j’en vis les conséquences personnellement. La France exploite depuis 40 ans l’uranium du Niger et 90% des habitants ici n’ont même pas l’électricité. Nos dirigeants ne peuvent pas décider librement. Ils ont peur. La France ne nous a accordé notre indépendance que sur papier. Elle commande, donne des armes aux gens pour qu’ils s’entretuent et fait tout pour créer des problèmes et des tensions. À l’heure qu’il est, tu as des mercenaires partout dans le Sahel. »

Le constat est pour lui sans appel. La solution? « Que la France nous lâche un peu. Qu’elle aille se faire foutre sur son continent européen. Qu’elle laisse les Africains prendre le destin de leurs pays en main et exploiter leurs ressources comme ils l’entendent. On est vraiment les victimes d’un esclavage moderne. C’est bien plus grave aujourd’hui qu’avant. Avant, du temps des gladiateurs, tu avais l’ignorance. Mais tu imagines. On est au XXIe siècle… »

Musicien conscient, homme solidaire, Moctar a beau dénoncer la violence du colonialisme, il est moins un révolutionnaire qu’un bienfaiteur. Quand il revient de tournée, il ramène régulièrement du matos aux jeunes musiciens locaux qui n’ont pas les moyens de se l’offrir. « Ce que je réalise avec la musique, j’essaie aussi de le faire avec l’eau. Je veux aider à créer et construire des puits. J’aime aider les gens. C’est dans ma nature. La plus belle des choses pour moi dans la vie, c’est de voir les autres sourire. »

Mdou Moctar, Afrique Victime, distribué par Matador. ****

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