Soulèvement en famille

© IVAN GIMENEZ TUSQUETS EDITORES

Horacio Castellanos Moya observe la conscience politique fluctuer au sein de la famille Aragón, à l’aube du renversement d’une dictature militaire.

Voici une parution qui éclaire d’un jour nouveau l’oeuvre de cet auteur majeur d’Amérique centrale, en s’inscrivant en prequel aux faits des Aragón relatés dans Effondrement et Là où vous ne serez pas. Nous sommes en mars 1944 et le Salvador est gouverné depuis une décennie par le  » sorcier nazi » (s’il est toujours nommé par périphrases, il s’agit du cruel Maximiliano Hernández Martínez). Dans le journal sans filtre qu’elle entame pour tromper sa solitude, doña Haydée, femme au foyer bourgeoise, relate avec crainte et une candeur inouïe le transfert de son mari journaliste Pericles dans une prison plus répressive où leurs contacts haut placés ne seront d’aucune utilité. Elle s’efforce par ailleurs de composer non seulement avec son père, opposant au régime mais aussi son beau-père colonel, vieille garde militaire fidèle au président en place. Reste enfin comme épine dans son coeur l’aîné de ses rejetons, Clemen, alcoolique notoire, qui se retrouve impliqué jusqu’au cou dans un coup d’État non abouti.

Soulèvement en famille

Ce moment d’ébullition chaotique est l’occasion pour Castellanos Moya de s’amuser dans l’alternance des registres. Tantôt on découvre le rituel diariste de cette  » Pénélope en attente d’Ulysse » soudain devenue attentive au monde et pasionaria de la grève générale qui se prépare. Tantôt on sourit de la cavalcade des fauteurs de trouble où Jimmy, le cousin aguerri, endosse le costume de bon fugitif à l’inverse de Clemen, flippé et assoiffé tout au long de leur périple, d’une planque chez un curé à une barque sur marécage.

Les fils face aux pères

S’il est hors champ pendant la première partie, présent seulement à travers l’inquiétude d’Haydée à son égard, Pericles, désormais vieux et malade, ressurgit à l’occasion de la seconde, lors d’un Déjeuner (1973) chez son ami artiste Chelón. Avec cette conclusion, regard aiguisé dans le rétro de l’observateur extérieur, Castellanos Moya souligne l’adage qui veut que les fils s’opposent aux pères, et qu’au pouvoir comme dans la vie  » nous les hommes sommes incorrigibles, inconstants, que nous finissons presque toujours par faire ce que nous prétendions éviter, et vice-versa« . À travers l’ancien journaliste souvent exilé à cause de ses convictions, son épouse à la conscience militante spontanée et leur fils prodigue, La Mémoire tyrannique entrelace avec verve, tendresse et férocité des trajectoires sinueuses -ni complètement héroïques ni tout à fait couardes- à l’image d’un pays où les secousses sismiques politiques ne sont hélas pas arrêtées en 1944.

La Mémoire tyrannique

D’Horacio Castellanos Moya, éditions Métailié, traduit de l’espagnol (Salvador) par René Solis, 320 pages.

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