Est-ce pour masquer le goût amer de l’époque que les musiciens saupoudrent si généreusement leur répertoire de sucre symphonique? Il y a d’abord ceux qui repassent les plats déjà à la carte en les agrémentant juste de cordes, de cuivres, de bois et de percussions. Comme Calogero et Sting qui servent pour Noël une fricassée de hits décongelés au four à micro-ondes philarmonique. Et puis il y a ceux qui convoquent la grosse artillerie instrumentale pour ciseler de nouvelles compositions génétiquement modifiées. Dans ce registre £cuménique, le meilleur (l’opéra pop des Liégeois de MLCD) côtoie le pire (la marmelade sirupeuse de Susan Boyle). Alors que la musique classique se meurt à petit feu dans ses appartements, voilà qu’elle réapparaît en grande forme là on l’attendait le moins: dans l’âtre rougeoyant du rock. C’est un peu comme si le mouton était invité à prendre le thé dans la tanière des loups… Même Stromae y est allé d’une reprise avec grand orchestre et tout le bataclan de la scie Alors, on danse lors de son concert au Bota. Droit comme la justice, possédé comme le grand Jacques, il a mené son tube à la baguette. Sensation étrange. On flirte avec le ridicule mais le naturel et l’élégance du bonhomme finissent par avoir raison des grumeaux. En tendant bien l’oreille, on retrouve la plainte des violons et le baume des ch£urs jusque dans les cuisines des bonzes du hip hop. Ils tapissent le mur du son du maçon Kanye West et mettent de l’huile dans les charnières du duo Dan Black-Kid Cudi. Le titre de leur valse magnétique, Symphonies, ne laisse d’ailleurs planer aucun doute sur les ingrédients… La fin des illusions n’explique pas seule ce sursaut de romantisme et de grandiloquence champêtre. Si pour certains, rajouter du sirop de glucose dans la macédoine de fruits sert à cacher un manque cruel d’inspiration, pour d’autres, c’est une question d’ego surdimensionné qui ne se sent chez lui que dans une cathédrale artistique, histoire de souligner son génie à coups de Stradivarius (vous pensez à Kanye West, nous aussi!). Ce voisinage s’inscrit du reste dans l’air -au sens musical- du temps. Le rock s’est acoquiné avec l’électro. Le hip hop a mis la main aux fesses du rock. Il n’y avait aucune raison que la musique classique, qui a déjà flirté dans le passé avec le rock (des groupes comme Yes, Genesis ou Lake and Palmer sont porteurs du gêne symphonique), continue indéfiniment à tenir la chandelle…

PAR LAURENT RAPHAËL

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