MAISON FONDÉE IL Y A 20 ANS DÉJÀ, SOPHIA RESTE LE REFUGE PRIVILÉGIÉ DE ROBIN PROPER-SHEPPARD, SONGWRITER AMÉRICAIN EXILÉ, À LA MÉLANCOLIE DÉSORMAIS APAISÉE.

Pour l’interviewer, c’est un plaisir à chaque fois renouvelé. Difficile en effet de tomber sur un interlocuteur plus charmant et volubile que Robin Proper-Sheppard. Au point de s’interroger: comment un artiste aussi souriant a-t-il pu pondre l’une des discographies les plus tristes et déprimées qui soient? Depuis 20 ans -l’album Fixed Water en 1996-, Sophia s’est en effet échiné à trousser une pop aussi délicate que touchante, carburant au spleen et à la déception amoureuse. Au point de se bâtir une vraie carrière, voire un miniculte auprès des amateurs de mélancolies sublimées, celles qui font du bien là où ça fait mal -particulièrement en Belgique, où Sophia a souvent eu un pied-à-terre, toujours une maison de disques et encore davantage un public fidèle, attentif (en 2001, il enregistrera son album live De Nachten à Anvers). Sept ans après The Are No Goodbyes, le nouveau As We Make Our Way (Unknown Harbours) charrie le même genre de lamentations blues sublimées. Mais avec cette fois, un petit quelque chose de différent, un petit décalage. Quelque chose comme de l’optimisme…

Une vie de bohême

Robin Proper-Sheppard naît en 1968, du côté de San Diego, Californie. De là, peut-être, le côté solaire du bonhomme. Et aussi, cet éternel physique d’acteur, visage taillé à la Sean Penn ou Joaquin Phoenix. Ado, c’est toutefois la musique qui remue Robin. C’est d’abord une histoire de potes: « A se retrouver pour écouter de la surf music, boire des bières, se mettre stoned. » Il commence par former le groupe Society Line, qui au début des années 90 se renomme The God Machine. Emigrant à Londres, le trio se retrouve signé sur le label anglais Fiction (celui de The Cure). Un premier album sort (Scenes from the Second Storey, en 1992). Un second est mis en boîte quand survient le drame, l’impensable: le bassiste Jimmy Fernandez tombe dans le coma et meurt un peu plus tard, foudroyé par une tumeur au cerveau. One Last Laugh in a Place of Dying sort quand même, mais le groupe n’est plus. « J’ai revendu tout mon matériel et je suis reparti en Californie. » Robin Proper-Sheppard fonde alors son propre label The Flower Shop Recordings, produit des groupes locaux, mais ne pense plus vraiment à monter sur scène. Jusqu’au jour où il reprend sa guitare et réussit à écrire So Slow. Fini les colères quasi néo-metal de The God Machine. Se rebaptisant Sophia, il commence à exorciser ses tourments dans des morceaux plus fragiles, à fleur de peau: Proper-Sheppard se découvre songwriter. « Tout à coup, une autre musique est arrivée, qui n’était plus seulement une décharge d’adrénaline ado. Elle me permettait d’exprimer des choses auxquelles je n’avais pas accès auparavant. »

Avec Sophia, Robin Proper-Sheppard a trouvé le parfait véhicule de ses angoisses. Et la voie d’un certain succès indie. Il se retrouve à tourner un peu, beaucoup, surtout en Europe. La vie sur la route lui va, même si elle finit bien par lui jouer des tours. « Récemment, après une série de concerts sur le continent, je me suis fait arrêter par la police belge en voulant rentrer à Londres », rigole-t-il. Il sera bon pour repasser par la case Etats-Unis, histoire de mettre son visa en ordre. « Je n’y avais plus mis les pieds depuis le décès de ma mère en 2001. Ron, l’ancien batteur de The God Machine, a pu m’héberger pendant un moment, mais à part ça, je n’ai plus énormément de liens sur place. » Hormis l’accent et la convivialité instantanée, dernières traces visibles de ses racines californiennes, Robin Proper-Sheppard s’est en effet fondu dans l’identité européenne. « Pendant longtemps, j’ai cru que je rentrerais un jour au pays. Mais j’ai fini par réaliser que cela n’allait pas arriver. Il y a toujours des gens super là-bas, mais je ne me retrouve plus trop dans la mentalité générale, la manière d’approcher la culture, la notion de réussite et de succès, tout ça… « 

Aujourd’hui, Sophia affiche une ancre sur la pochette de son dernier album. Mais Robin Proper-Sheppard serait bien en peine de la fixer à un endroit précis, ballotté entre les Etats-Unis, Berlin, Londres, ou Bruxelles, installé pas loin de la rue Dansaert, près de l’Archiduc où il va régulièrement passer des disques, entre le bar et la cuisine -« Je joue tout, de Motörhead à Britney Spears ».

Cette vie de bohême ne facilite pas les relations amoureuses. Jusqu’ici, chacune d’elle semblait d’ailleurs engendrer un nouveau disque. « J’écris de la musique tout le temps, en permanence. Mais quand une histoire d’amour se termine, je me retrouve tout à coup à pondre dix chansons d’affilée, qui deviennent instantanément un album. » En 2009, There Are No Goodbyes représentait en quelque sorte l’aboutissement de cette démarche. « Cette fille m’a vraiment brisé le coeur. Faire un album sur cette histoire m’a presque tué. Après ça, je ne voulais plus refaire ce genre de disque. » Sur As We Make Our Way, la mélancolie trouve donc de nouveaux contours. Certes, Proper-Sheppart peut toujours chanter un morceau comme « don’t ask what you don’t wanna know »(Don’t Ask)-« Je ne suis pas du genre à tromper ou à faire délibérément du mal, mais je reste ce mec un peu tordu, ce qui finit toujours par faire de la peine à l’autre ». A l’effondrement amoureux a succédé toutefois une sorte d’apaisement. Sur Baby, Hold on, c’est à sa fille de 20 ans qu’il s’adresse. « Comme souvent, au moment de se quitter, on s’est retrouvés ce jour-là à s’engueuler. On était place Sainte-Catherine, elle devait reprendre son Eurostar et on s’est disputés. J’appelle ça l’angoisse de la séparation. J’ai noirci des pages et des pages, consacré des heures à essayer de trouver les bons mots, plus que sur certains albums entiers. Cela m’a permis de remuer plein de choses et de réaliser que je n’ai simplement pas été assez présent pour elle. Je pensais l’avoir été. Mais ce n’est pas vrai. Une fois que vous prenez conscience de ça, c’est impossible de s’en défaire. Une déception amoureuse peut passer. Mais pas ce genre de sentiment. » Everybody hurts, chantait REM. Et le fait est que Robin Proper-Sheppard l’accepte peut-être dorénavant un peu mieux.

SOPHIA, AS WE MAKE OUR WAY (UNKNOWN HARBOURS), DISTR. PIAS. EN CONCERT, LE 19/08, AU PUKKELPOP, HASSELT.

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RENCONTRE Laurent Hoebrechts

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