AVEC SPRING BREAKERS, ÉQUIPÉE SAUVAGE DE QUATRE ADOLESCENTES SOUS LE CIEL FLORIDIEN, HARMONY KORINE LIVRE UN FILM EN FORME DE SUCRERIE ACIDE, DÉROUTANT ALLÈGREMENT LE TEEN-MOVIE. CONVERSATION…

Présenté en septembre dernier à la Mostra de Venise, Spring Breakers (lire critique en page 30) y aura déclenché des scènes d’hystérie dont la Sérénissime n’est guère coutumière, des hordes d’adolescentes trépignant à la simple perspective d’apercevoir les stars du film, Vanessa Hudgens et Selena Gomez, teen-idols échappées du château Disney. Autant dire que le réalisateur Harmony Korine, icône du cinéma underground américain, aura su habilement brouiller les pistes: s’il s’agit assurément de son opus le plus accessible à ce jour, ce cinquième long métrage n’en reste pas moins un authentique ovni cinématographique, virée acide explosant en un déluge de tons flashy, pour tout emporter sur son passage, à commencer par le rituel adolescent étatsunien qui lui offre sa toile de fond. « Tout a commencé par l’image de jolies filles en bikini brandissant des flingues sur une plage de Floride, raconte Korine, joint par téléphone. J’ai commencé à construire une histoire autour de ce rêve, imaginant les personnages, le décor et le fait d’utiliser le « Spring Break » comme arrière-plan, pas tant à des fins critiques que comme métaphore de ce qui se produit ensuite à l’écran. Spring Breakers est une réinterprétation impressionniste de cette culture. »

Parenthèse printanière dans le parcours estudiantin américain, le Spring Break est associé aux excès les plus divers, orgie éphémère faisant miroiter la perspective d’un hédonisme transgressant les règles au nom de la trinité sex and drugs and alcohol. « La culture qui y est attachée m’a semblé intéressante, poursuit le cinéaste. L’imagerie en est très sexuelle, hyperviolente et hypergraphique, tout en incluant des détails presque enfantins, comme les ongles vernis, les maillots de bain, les tongs ou encore les sacs Hello Kitty. Que ces éléments puissent fonctionner simultanément m’est apparu comme un bon point de départ pour un film qui explore la violence et la pathologie de cet univers. » Et de recourir, comme pour mieux en souligner l’ambiguïté, à de purs produits de la teen-culture et de cette mythologie pop, débarquées qui de Wizards of Waverly Place, qui de High School Musical, qui de Pretty Little Liars, pour camper, aux côtés de Mrs Rachel Korine, les quatre héroïnes de cette équipée déjantée, une sorte de voyage sanglant au bout de la vacuité. « Vanessa, Selena et Ashley (Benson) n’étaient pour ainsi dire que des actrices Disney. L’idée de les emmener à l’opposé, sur un terrain plus difficile et plus extrême me plaisait. » Démarche conséquente, d’ailleurs, dans le chef d’un cinéaste dont l’un des leitmotivs est de « créer un espace où tout puisse arriver. Il est essentiel pour moi de ne pas juger les personnages, de veiller à ce qu’ils soient libres et ambigus. »

Cauchemar sucré

Suggère-t-on qu’il y ait néanmoins eu dans le recours à cette distribution pimpante quelque provocation de sa part, qu’il en limite la portée: « Le plus important à mes yeux était qu’elles soient en mesure de se perdre dans leurs personnages. Qu’il y ait en outre quelque chose tenant de la provocation d’un point de vue conceptuel n’était jamais qu’un bonus. » Toute médaille ayant son revers, Harmony Korine aura aussi pu mesurer les effets pervers de son casting détonant: « Le tournage s’est avéré difficile, en raison du degré de chaos et de folie qui les suit partout. Nous étions sans arrêt pris en chasse par des paparazzi ou des fans. L’énergie particulière qui se dégage du film en découle pour partie. » Frénésie encore renforcée par le fait de tourner en plein Spring Break floridien justement, expérience qui appelle un commentaire définitif: « C’était complètement dingue », ce qui, dans le chef de Korine, doit être plus qu’une simple vue de l’esprit.

Son film, explique-t-il dans la foulée, il l’a conçu comme « une expérience physique ». D’où l’impression de trip hallucinogène qui l’emporte sur toute autre. Et que vient renforcer une photographie au clinquant aussi assuré qu’inspiré -le travail d’un maître en la matière, le chef-opérateur belge Benoît Debie, collaborateur régulier de Fabrice Du Welz et Gaspar Noé. « Benoît est l’un des meilleurs à mes yeux, souligne le réalisateur. Le film devait être inventif. Et puisqu’on y traite d’une culture de la surface et des apparences, avec son ton spécial, je voulais que le film ressemble à du candy, comme s’il était éclairé de sucreries dont cette sorte de pathologie saignerait à travers la surface, le message venant de l’image. Avec Benoît, nous avons commencé à développer un langage qui ressemble à de la musique et à des textures, quelque chose que l’on puisse ressentir et goûter. Des couleurs, une caméra qui flotte, avant de disparaître dans le ciel pour ensuite tomber d’un building. Rien de confortable. Et Benoît s’est avéré être un véritable magicien. »

Cauchemar sucré, Spring Breakers pourrait aussi sensiblement accroître la notoriété de l’auteur de Gummo et autre Mister Lonely, fût-ce sur base d’un malentendu d’ailleurs. Lui, se défend en tout cas de tout calcul, en quoi l’on est tout disposé à le suivre: « J’avais cette histoire et ces actrices, l’ensemble me semblait excitant, et il se trouve que c’est sans doute plus accessible en effet. Je ne suis pas spécialement orienté carrière, je n’ai pas l’esprit à cela, je fais simplement ce dont j’ai envie. Et si un film comme celui-ci est plus commercial, rien n’exclut que j’enchaîne avec un projet qui s’en situe à l’exact opposé. Réaliser des films reste difficile. Il en a toujours été ainsi, et cela va même en empirant. Mais j’y suis habitué. Quand on travaille en dehors du mainstream, cela fait partie du processus même: faire des films est une bataille. »

RÉTROSPECTIVE HARMONY KORINE AU CINÉMA GALERIES, À PARTIR DU 14/03.

ENTRETIEN JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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