DELPHINE LEHERICEY, LA RÉALISATRICE BELGO-SUISSE DE PUPPY LOVE, N’A PAS FROID AUX YEUX. SON PREMIER FILM EST AUSSI REMARQUABLE QUE VISCÉRAL ET UTILEMENT DÉRANGEANT.

« Faire un film doit répondre à une nécessité. Le temps du cinéma est trop long. Il y a des sommes importantes en jeu. Et il y a tellement de films! Tellement de pression! Alors si vous n’êtes pas dans un projet personnel, dans une démarche nécessaire, vous vous perdez un peu, je crois. Il faut être dans le viscéral, faire du film une machine à désir qui puisse tenir la distance… » Les mots de Delphine Lehericey expriment à la fois la détermination et la lucidité d’une réalisatrice offrant dès son premier film un choc comme le cinéma francophone n’en offre que trop rarement. La réalisatrice belgo-suisse, venue du théâtre, du court métrage expérimental et du documentaire, ne débarque pas dans le grand jeu sur la pointe des pieds. Son Puppy Love aborde le thème de l’adolescence, celui de la curiosité sexuelle et du défi aux limites, avec une audace et une force qui en font une oeuvre d’emblée marquante.

« Etre dans le désir, dans la nécessité, n’exclut pas une certaine forme d’inconscience, parce que c’est la première fois« , sourit notre interlocutrice, qui a pu constater à quel point son film entre en « vraie confrontation » avec les spectateurs qui le découvrent, festivaliers (à San Sebastian, à Zurich, à Namur, entre autres) et désormais journalistes. « Maintenant j’ai vraiment le sentiment d’avoir fait quelque chose qui existe, et qui me ressemble!« , se réjouit Lehericey dont le film est déjà sorti dans sa Suisse natale, avec d’excellentes critiques à la clé.

Dans la vie

« Il fallait raconter ce moment dans la vie de cette fille. » L’histoire de Diane, adolescente à la croisée des âges et des découvertes sexuelles, la réalisatrice l’a nourrie d’imaginaire mais aussi de ses propres expériences, de ses souvenirs personnels. Elle a voulu « installer le présent de l’adolescence dans le présent du cinéma« . La curiosité de sa jeune héroïne, sa vulnérabilité aux autres, la mise en danger de soi vers laquelle elle va, pressée, la cinéaste les cadre avec une franchise, une vérité aussi rares qu’éprouvantes. Interrogée sur les aspects radicaux de son approche, elle avoue aimer « le cinéma qui se donne et vous prend tout de suite« . « Je m’ennuie assez vite, poursuit-elle, devant des films très beaux, à l’esthétique incroyable, mais où tout reste cérébral. Le travail plastique m’emmerde, pour parler crûment: j’ai besoin que les choses soient dans la vie, qu’on puisse se reconnaître dans un personnage, dans une situation, et ce de manière immédiate. Pas que l’émotion vienne ensuite, après les images. Il faut qu’elle vous arrive directement, en temps réel, sans distance intellectuelle! » Delphine Lehericey n’a pas fait d’études (de cinéma ou autre) et c’est en autodidacte assumée qu’elle se pique avec raison de « fabriquer de la vie« . « Parfois je me sens limitée, parce que je ne me pose pas de questions esthétiques, ajoute-t-elle, mais je me dis que ça viendra avec l’âge et l’expérience. Pour l’instant, je ne suis pas encore capable de décoller du réel…  »

Passage à l’acte

Puppy Love évite les références précises à notre époque, dans un clair souci d’universalité. En même temps, l’urgence dans laquelle s’envisage le rapport au sexe transpire de cette très actuelle « déferlante d’images plus violentes, plus facilement accessibles, qui viennent bousculer encore davantage les questionnements des adolescents vis-à-vis du sexe et de la pornographie. » La réalisatrice voit « beaucoup de choses qui se vivent aujourd’hui par procuration alors que, dans les années 90, tout devait se vivre réellement, toutes les expériences se faisaient directement. Or l’adolescence est l’âge du passage à l’acte. Sans forcément avoir conscience des conséquences… Ces endroits de confusion sont de formidables machines à fictions, à histoires! »

Le casting fut bien sûr un élément déterminant. Il se déroula en deux temps. « On a mis neuf mois à trouver, se souvient Lehericey, au terme d’une triple recherche en Belgique, en Suisse et en France. J’ai d’abord rencontré Audrey Bastien, qui a cette espèce de sensualité immédiate requise pour le rôle de Julia, l’amie plus affranchie qui va bouleverser l’existence de Diane. Audrey a tous les culots, dans la réalité aussi. J’ai eu un flash avec elle. Et c’est avec elle que j’ai continué à chercher l’interprète de Diane. Nous avons vu des filles qui avaient quinze ans. Je faisais avec elles plusieurs auditions, mais à chaque fois j’avais peur. Je sentais que cela pouvait être dangereux pour elles, et que ma responsabilité d’adulte, dirigeant le tournage, serait immense. Comment oser, par le biais d’une fiction, enlever à une jeune fille qui n’a pas encore beaucoup vécu sa propre découverte des choses? C’est Audrey qui, le dernier jour du casting, m’a demandé pourquoi je ne verrais pas Solène Rigot. Solène était majeure, elle avait 19 ans (Audrey en avait 20). J’avais en fait envoyé le scénario à Solène, qui l’avait refusé. Audrey l’a appelée directement et une heure après, elles étaient réunies devant moi. Je me suis très vite revue en Solène, dans son corps, dans sa maladresse, son côté parfois androgyne. Elle a dit qu’elle ne savait pas pourquoi elle avait refusé le scénario. On pouvait enfin tourner Puppy Love… »

Ainsi naquit un film qui pose aussi la question cruciale (et si chère à Joachim Lafosse) des limites. Celles que transgressent les adolescentes du récit. Celles aussi que ne semblent pas poser, face à elles, les adultes dont le propre père de Diane. « Il est difficile de grandir à tout âge« , commente sobrement une réalisatrice qui n’a « pas voulu faire un film moral, ni imposer un discours« . Elle-même mère d’un enfant de trois ans et belle-mère de deux ados de treize et 17 ans, Delphine Lehericey avoue se poser encore cette question des limites. Son film en témoigne, avec une force et une urgence inouïes, nous laissant à chacun le soin de trouver nos réponses. ?

RENCONTRE Louis Danvers

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