Singer in the Dark

Fable mystique inscrite dans les paysages islandais, Quand nous étions sorcières, de Nietzchka Keene, valait à Björk son premier rôle au cinéma.

Une dizaine d’années avant que Lars von Trier ne lui confie le rôle de Selma dans Dancer in the Dark, Björk faisait ses débuts au cinéma dans un film oublié, The Juniper Tree ( Quand nous étions sorcières), le premier long métrage de la cinéaste américaine Nietzchka Keene, qui nous arrive aujourd’hui impeccablement restauré. Librement adaptée du conte Le Genévrier, des frères Grimm, l’action se situe en Islande, à la fin du Moyen Âge. Après que leur mère a été noyée pour faits de sorcellerie, deux soeurs, Katia (Bryndiss Petra Bragadóttir) et sa cadette Margit (Björk), s’enfuient dans les landes. Alors que la première a tôt fait de séduire un paysan veuf, Johan (Valdimar Örn Flygenring), dûment ensorcelé en dépit de l’hostilité de son fils Jonas (Geirlaug Sunna Pormar), la seconde se réfugie toujours plus avant dans un monde imaginaire où sa mère lui apparaît. Non sans tenter de soustraire le gamin à la menace de son aînée…

Fable mystique tournée en noir et blanc, The Juniper Tree tire le meilleur parti d’une nature islandaise austère et sauvage se déployant dans des paysages comme irréels. Si le film s’inscrit dans une certaine tradition scandinave, il ne manque pas de fasciner avec ses échappées poétiques dans les landes brumeuses, ses incantations ésotériques et le mystère qui, partout, affleure. À quoi s’ajoute la manière d’envisager la sorcellerie, dépeinte comme une composante objective de ce monde. « Je la considère comme le moyen pour ces femmes d’essayer de survivre et de maîtriser leur environnement et leur vie au même titre que la religion, la rationalité, la science ou d’autres croyances permettent aux êtres humains de donner un sens à leur existence et d’agir sur le monde », écrivait la réalisatrice. Un postulat pas étranger au trouble dégagé par l’ensemble, encore renforcé par la présence lunaire d’une Björk juvénile.

Singer in the Dark

Dans un prolongement judicieux du film, la politologue Armelle Le Bras-Chopard, spécialiste des questions d’égalité femmes-hommes, et autrice notamment de Les Putains du diable: le procès en sorcellerie des femmes, s’étend, en bonus, sur les spécificités de la sorcellerie en Islande, non sans, plus largement, évoquer le gynocide dont les femmes accusées de s’y adonner ont été l’objet sous l’Inquisition. Le combo Blu-ray/DVD propose, en outre, une poignée de courts métrages de Nietzchka Keene, réalisatrice méconnue dont le second long métrage, Barefoot to Jerusalem, devait sortir à titre posthume en 2008, quatre ans après sa mort. L’occasion de découvrir, de l’épuré Still à l’expérimental Aves, en passant par Hinterland, conte cruel préfigurant, dans ses teintes délavées, The Juniper Tree, un univers aussi étrange que définitivement singulier…

Quand nous étions sorcières

De Nietzchka Keene. Avec Björk Gudmundsdóttir, Bryndis Petra Bragadóttir, Valdimar Örn Flygenring. 1 h 19. 1989. Dist: Capricci.

7

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content