She wants it darker

© YANN ORHAN

À 71 ans, Marianne Faithfull médite plus que jamais sur le temps qui passe, sublimant le sentiment de perte sur son nouvel album, l’un de ses plus poignants.

Certains tubes sont comme des fantômes. Ils vous hantent toute une vie durant. À ce titre, il vaut mieux les affronter, et apprendre à les domestiquer. La première fois que Marianne Faithfull a chanté As Tears Go By, en 1964, elle n’avait que 18 ans. Elle était à la fois trop jeune pour ruminer une telle mélancolie, et pourtant déjà maître de son sujet. Écrit par le duo Jagger/Richards, le morceau la fit entrer dans la galaxie rock, pour le meilleur. Et surtout pour le pire: déprimée, accro à l’héroïne, elle traversa les années 70 en ange déchue, perpétuellement au bord du goufre. Ce n’est qu’en 1987, quand elle se sera définitivement débarrassée de ses addictions, qu’elle réenregistrera le morceau, sur l’album Strange Weather. Plus lente, la version se voulait aussi apaisée. Aujourd’hui, Marianne Faithfull revisite une nouvelle fois sa chanson-totem. Et forcément, elle prend encore une nouvelle épaisseur. Le spleen ado est devenu plus que jamais une rumination sur le temps qui passe. « It is the evening of the day », chante Faithfull, 71 ans, la voix craquelée, marquée par les excès et une santé fragile…

Kind of funny

Vingt-et-unième album studio de Marianne Faithfull, Negative Capability ne s’embarrasse pas d’artifices, privilégiant l’honnêteté la plus crue, la plus brutale. Hormis deux autres reprises (celle de Witches Song, tirée de Broken English, son chef-d’oeuvre fracassé de 1977, et d’ It’s All Over Now, Baby Blue emprunté à Bob Dylan), le disque est notamment obsédé par la mort. Marianne Faithfull évoque la disparition de proches ( « I hate to lose old friends », chante-t-elle sur Born To Live, dédié à Anita Pallenberg, autre âme cabossée par les excès des sixties-seventies), rend hommage à ceux qui sont tombés sous les balles des terroristes au Bataclan ( They Come At Night). Elle n’évacue pas sa propre fin, forcément, qu’elle voit rôder autour d’elle, tout comme la solitude de plus en plus pesante ( Misunderstanding, No Moon In Paris). Mais sans que cela ne l’empêche, par exemple, de continuer d’aimer – « In my own particular way/I’m ready to love at last », assure-t-elle, avant d’ajouter plus loin: « I know I’m not young and I’m damaged/But I’m still pretty, kind of funny. »

She wants it darker

Produit par Rob et Warren Ellis, le plus barbu des Bad Seeds, bénéficiant du concours de Nick Cave, Mark Lanegan et Ed Harcourt, Negative Capability baigne dans une lumière automnale. On fera forcément le lien avec d’autres disques à la même tonalité sépulcrale. Ceux qu’ont sortis par exemple Johnny Cash ou Leonard Cohen à la lisière de leur vie. Pour cela, on s’en veut un peu: il a beau être évident, le parallèle sonne presque comme un gimmick marketing, un storytelling un peu trop pataud. En vérité, Negative Capability n’a pas besoin de ça. Quelque part, s’il charrie bien un sentiment de perte, il est moins le disque d’une artiste qui voit la route devant elle se rétrécir que le témoignage d’une des dernières icônes d’une mythologie rock originelle, désormais de moins en moins prégnante. Rescapée de cette aventure extrême, Marianne Faithfull l’incarne aujourd’hui mieux que quiconque. Longue vie à elle!

Marianne Faithfull

« Negative Capability »

Distribué par BMG.

8

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