Sex Machine

James Spader, Holly Hunter, Deborah Kara Unger (à droite) forment le trio sulfureux d'un film qui a bousculé les codes.

Crash, le sulfureux chef-d’oeuvre de David Cronenberg, fait l’objet d’une ressortie en version restaurée 4K. Audacieux, le film n’a rien perdu de son étrange pouvoir de fascination.

Une fois n’est pas coutume, l’été s’annonce fertile en reprises de premier ordre puisqu’après Le Miroir, d’Andreï Tarkovski, et en attendant The Piano, de Jane Campion, et Le Bonheur, d’Agnès Varda, c’est au tour de Crash, le chef-d’oeuvre de David Cronenberg, de faire l’objet d’une ressortie en salles après avoir bénéficié d’une superbe restauration en 4K. Adapté de l’oeuvre de l’écrivain britannique J.G. Ballard, le film avait suscité la controverse lors de sa sortie, en 1996, déchaînant les passions lors de sa présentation au festival de Cannes (d’où il devait repartir fort d’un prix Spécial du Jury présidé par Francis Ford Coppola pour  » son audace, son sens du défi et son originalité« ), avant de connaître une carrière mouvementée -en Grande-Bretagne en particulier, où le Daily Mail mènera une campagne pour son interdiction sous le titre Ban This Car Crash Sex Film…

Maybe the next time

Redécouvrir Crash près de 25 ans plus tard délesté de cet encombrant parfum de scandale, c’est pouvoir apprécier le film pour ce qu’il est, un essai radical qui, sous son esthétique glacée, orchestre un ballet mécanique à l’érotisme trouble, tout en brassant divers thèmes et obsessions familiers du réalisateur canadien. Au coeur du film, on trouve James et Catherine Ballard (James Spader et Deborah Kara Unger), un couple multipliant sans grand succès les expériences sexuelles les plus diverses pour tenter de relancer leur relation s’essoufflant quelque peu. Entreprise qui prendra un tour nouveau lorsque, à la suite d’un violent accident de la route, James fait la connaissance du docteur Helen Remington (Holly Hunter) et d’un photographe médical, Vaughan (Elias Koteas), au contact desquels ils se lanceront dans l’exploration des liens unissant danger, sexe et mort, tous deux appartenant à une petite société cherchant la plénitude sexuelle dans les collisions automobiles. Et de notamment se livrer à cet effet aux reconstitutions mimétiques de crashs célèbres, ceux ayant coûté la vie à James Dean ou Jayne Mansfield par exemple…

Sex Machine

S’ouvrant sur trois scènes d’amour plus mécaniques que charnelles en définitive, Crash déploie ensuite son esthétique clinique sur une partition métallique de Howard Shore, accompagnement idoine d’une quête du plaisir et de l’orgasme ultime que Cronenberg autopsie dans un alliage de sensuelle froideur et de fétichisme morbide. Si les corps s’entremêlent comme les tôles se froissent, la chair, ici, se fait désenchantée – » Maybe the next time, darling. Maybe the next time« – tandis que le récit, à la fois linéaire et hypnotique, orchestre la collision entre sexe et mort en même temps qu’il travaille le rapport entre technologie et érotisme et la fusion homme-machine. Au-delà de son aura sulfureuse, le film s’inscrit ainsi dans la continuité d’un cinéaste ayant fait du corps humain un terrain d’exploration privilégié, postulat vérifié de Videodrome à Dead Ringers, de The Fly à eXistenZ, et trouvant là son expression la plus aboutie. Fixé dans la beauté chromée de la photographie de Peter Suschitzky, l’empire d’essence de David Cronenberg reste, un quart de siècle plus tard, une expérience de cinéma d’une stimulante étrangeté. Audacieux, visionnaire et, partant, son pouvoir de fascination intact.

Crash, thriller de David Cronenberg, avec James Spader, Deborah Kara Unger, Holly Hunter, 1996. 1 h 40. En salles depuis le 22/07.

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Cronenberg, après le crash

1999. Lorsqu’on rencontre David Cronenberg à la Berlinale où il présente eXistenZ, le scandale et l’incompréhension suscités par Crash, son film précédent, sont encore dans tous les esprits. Et le cinéaste canadien de faire part de ses impressions.  » Ce film a perturbé le public pour diverses raisons, l’une étant qu’on y trouvait des acteurs hollywoodiens, qu’il ressemblait vaguement à un film hollywoodien, mais qu’il ne fonctionnait pas comme tel. Ces acteurs ne parlaient pas comme il faut, ne marchaient pas comme il faut, et accomplissaient des actes que l’on ne peut pas faire dans ces films. Cela a attisé la colère des spectateurs qui se sont sentis trahis: ils allaient voir un film, et ce qu’ils voyaient ne correspondait pas à l’idée qu’ils s’en faisaient. » Avant de poursuivre:  » C’est un peu comme si l’oeil avait perdu sa capacité à accepter comme film tout ce qui s’écarte un tant soit peu des catégories hollywoodiennes: la comédie, la comédie romantique, le film d’action, la SF, tous ces genres ultra-codés. Mais pour moi, le cinéma est de l’art, et il en a la fonction: il doit pouvoir illuminer, anticiper, et choquer est également une option. Même si choquer, en soi, n’est rien: beaucoup de films hollywoodiens choquent physiquement. Mais le faire avec des idées, voilà bien quelque chose à quoi répugne Hollywood. Si vous regardez Crash, on n’y trouve rien de vraiment choquant: un peu de nudité, mais pas plus que vous n’en verrez dans de nombreux films. Mais le concept, l’idée, la discussion autour du sexe et de la mort, de l’érotisme ont perturbé les gens. Les spectateurs n’ont pas cessé de s’imaginer avoir vu dans ce film un tas de choses qui ne s’y trouvaient pas, simplement en raison de son concept. C’est un élément qui me passionne dans le cinéma. »

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